< Retour à la liste des articles 12 septembre 2019

Le poids du collectif

Stéphane Desjardins

En financement solidaire, les coopératives ont dans leur manche un atout majeur dont ne disposent pas les Inc. : la mobilisation populaire.

Il y a des coopératives dans pratiquement tous les secteurs de l’économie. Même si, fondamentalement, on fonde une coopérative pour servir ses membres, les raisons varient pour justifier une telle aventure.

À l’étape du financement, les financiers solidaires s’intéressent à plusieurs aspects du plan d’affaires : validité du projet, viabilité de l’entreprise, capacité de remboursement, certains ratios financiers clés, solidité de la direction et du conseil d’administration… Cependant, un critère ressort fortement : la mobilisation sociale.

« La vitalité associative est un indice de bonne santé pour une coopérative. La coop a un réseau, un ancrage dans la communauté. Ce n’est pas juste de l’acceptabilité sociale, c’est de l’appropriation. Lorsque la coop traverse un moment difficile, elle a l’appui de ses membres, mais aussi des acteurs sociaux. Le banquier solidaire comprend cet avantage », explique Marie Bouchard, professeure en gestion des entreprises collectives à l’ESG de l’UQAM.

Beaucoup de coopératives ont vu le jour à cause d’une problématique régionale ou locale. Un village se dévitalise et risque de perdre sa dernière épicerie, une région souhaite se doter d’une clinique de santé, un terrain de camping aimerait avoir un repreneur, un centre de ski fait faillite, de jeunes agriculteurs se cherchent une terre dans une région éloignée, des artistes tentent d’acheter un immeuble dans un quartier menacé d’embourgeoisement, des travailleurs veulent maintenir active leur entreprise en mal de relève, des professionnels envisagent de travailler au sein d’un collectif, des gens entendent se loger décemment, des citoyens espèrent régler une problématique sociale… Il y a autant de projets de coopérative que de réalités sociales et économiques.

Nombre de citoyens s’impliquent dans leur milieu et fondent une coopérative pour s’unir autour d’une cause, d’un dossier, d’un projet qui réglera un problème touchant toute la collectivité. « En fait, beaucoup de jeunes privilégient tout simplement le modèle coop lorsqu’ils songent à se lancer en affaires, car il colle davantage à leurs valeurs, ajoute Marie-Claude Boisvert, première vice-présidente, service aux entreprises, chez Desjardins. La compréhension du modèle coopératif et la volonté très ferme de travailler en commun constituent les premiers critères qu’on regarde, car c’est une garantie fondamentale de succès d’un projet coopératif. »

Sentiment d’appartenance

Le niveau d’engagement de la communauté est primordial, estime Stephan Morency, chef de l’investissement à Fondaction. « Les coopératives revendiquent d’être traitées comme n’importe quelle entreprise, dit-il. Elles le sont selon certains critères conventionnels, comme la viabilité financière, la qualité des promoteurs, de la direction, leurs réalisations, la stratégie de croissance… Mais avec les coops, on s’intéresse davantage à la communauté, et pas juste aux membres. »

Pour lui, la dépendance ou l’interdépendance entre une coop et son milieu donne une idée de sa résilience. « On octroie souvent une prime de solidité plus importante car, quand ça va mal, la communauté a tendance à se mobiliser pour maintenir la coop en vie, qu’elle prospère malgré tout. À l’opposé, pratiquement personne ne pleure quand une Inc. ferme ses portes. »

Le volet associatif figure en bonne place dans la douzaine de critères énumérés dans le Guide d’analyse des entreprises d’économie sociale (CAP Finance) auquel le RISQ a contribué avec ses partenaires du Réseau de la finance solidaire et responsable. Le guide sert de référence aux analystes de la finance solidaire. La gouvernance, l’ancrage local et sectoriel y jouent un rôle important.

« Quand on analyse des projets, on leur accorde une note globale, pas une note de passage, explique M. Morency. On évalue ainsi les forces et les faiblesses de chaque projet et organisation. L’ancrage local peut alors pallier certaines lacunes financières. Pour nous, tout est relié. Mais ce n’est pas une garantie de succès. On a vu des commerces disparaître malgré le soutien de toute une communauté. À l’inverse, une coop d’architectes peut connaître un immense succès sans bénéficier d’appui communautaire. »

Tout dépend du projet

On l’aura deviné : une coopérative de santé suscitera une adhésion plus grande dans son milieu qu’une coopérative de services, dont les clients sont aux quatre coins du pays. « Un service d’aide à domicile, un commerce de proximité, une station de ski sauront mobiliser leur communauté, affirme Nada Elkouzi, directrice régionale de la Coopérative de développement régional du Québec (CDRQ) de Montréal-Laval. En région, c’est encore plus vrai que dans les centres urbains, car toute la collectivité bénéficie du service. Le bailleur de fonds local ou régional va en tenir davantage compte. »

Fait à retenir : lorsque les promoteurs disposent d’un apport de capital provenant de la municipalité, de la MRC ou des deux, sous forme de subvention ou d’un investissement dans les actifs (par exemple, une municipalité achète les terrains ou certaines infrastructures utilisées par la coop), cet appui est largement considéré par les banquiers solidaires comme une condition majeure de succès d’un dossier. Car il s’agit d’un investissement direct des autorités locales dans le projet, signe qu’elles y croient et qu’elles sont prêtes à y consacrer de l’argent des contribuables.

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