André Bélanger
La dématérialisation favorisée par l’essor des technologies, d’Internet et de la mondialisation bouleverse toutes les industries, sans exception. Vous cherchez une urne funéraire? Cremation Solutions vous en propose en plastique biodégradable à l’effigie du défunt réalisées avec une imprimante 3D et expédiées en 24 heures et ce, à partir de 600 $.
Duproprio.com a secoué l’industrie immobilière avec sa maîtrise de la technologie, de l’expérience utilisateur, des outils web 2.0 et du mobile et il est parvenu à accaparer près de 20 % du marché de l’immobilier au Québec.
Et ce n’est qu’un début. Hexoskin de Montréal produit des vêtements intelligents destinés aux athlètes qui mesurent leurs signes vitaux et leur permettent de s’améliorer, Google a mis au point des lunettes connectées et des voitures sans conducteurs, tandis que l’accès aux immenses données générées par le Web fait déjà rêver.
Même si on n’en a que pour les nouveaux géants du monde numérique (Google, Facebook, Amazon, eBay), quelques grands acteurs plus traditionnels parviennent à se tailler une place enviable parmi les leaders de l’innovation (Samsung, Sony).
Un point commun entre toutes ces entreprises innovantes? On n’y trouve aucune coopérative, grande ou petite…
Pourtant, elles progressent et elles grandissent tout aussi bien que les grandes entreprises cotées en bourse, mais différemment, nous apprend McKinsey dans son étude commandée par le dernier Sommet international des coopératives, « McKinsey on Cooperatives ».
McKinsey a ainsi comparé la croissance des grandes coopératives à celle des entreprises privées de 2005 à 2010 et constaté que les grandes coopératives performent mieux que le privé dans l’acquisition de nouvelles parts de marché dans leurs marchés traditionnels, mais qu’elles sont deux fois moins e«caces à saisir les opportunités que le privé, toutes industries confondues.
Acteurs ou leaders?
En fait, les coopératives sont passées maîtres dans l’adaptation, mais traînent la patte en matière d’innovation. L’adaptation aux attentes des clients et des membres est essentielle à tout acteur qui veut maintenir sa position concurrentielle dans son marché. L’innovation est la clé qui permet de devenir leader dans un secteur, une région ou un segment de marché en forte croissance (ex : marchés émergents ou le online), ce que McKinsey appelle portolio momentum.
Les coopératives manquent-elles d’audace? Pas vraiment. D’agilité? Certainement. De structures adéquates? Probablement. Mais la principale raison, selon McKinsey, c’est qu’elles sont trop exclusivement orientées vers la satisfaction des besoins soulevés par leurs membres, tant dans l’offre de services que dans la structure de gouvernance.
Et cette orientation nuit à la recherche et à la découverte des besoins latents, ceux encore non exprimés par ses clients et ses membres.
En 2007, tout le monde maîtrisait les technologies d’écran tactile, mais Steve Jobs et Apple ont été les seuls à prendre le temps d’observer et d’écouter attentivement les consommateurs et leurs frustrations. Le iPhone constituait une rupture avec son époque. « Un objet ridicule! » a«rmait le pdg de BlackBerry, Jim Balsillie, à sa sortie en 2007. On connait la suite…
Les membres réunis en groupes de discussion peuvent nous aider à améliorer un produit et un service qu’ils connaissent déjà, mais ils sont mauvais juges pour les innovations.
Or un grand nombre des biens et services d’aujourd’hui n’existaient pas il y a vingt ans et ce sera encore plus vrai dans les 20 prochaines années.
Les membres, un moteur pour l’innovation?
Et si le mouvement coopératif faisait de la relation privilégiée avec ses membres un moteur pour innover?
Le Co-Operative Group, la plus grande coopérative de Grande- Bretagne, invitait récemment ses sept millions de membres à participer au choix des sites pour les 300 nouvelles épiceries qu’elle voulait lancer sur le territoire britannique. L’initiative reste cependant limitée.
Depuis 2007, le fabricant d’ordinateurs Dell administre IdeaStorm (ideastorm.com), un forum en ligne qui permet à ses clients de proposer des idées, des modifications et des améliorations aux produits de Dell. Bilan : 19 000 idées soumises, 750 000 votes, 100 000 commentaires et 530 idées implantées par Dell.
McAfee, un fabricant de solutions en sécurité informatique, a offert un espace communautaire en ligne à ses utilisateurs. Des centaines de bénévoles, les McAfee Maniacs, répondent aux questions et problèmes des autres utilisateurs, orant un service clientèle hors-pair et permettant à McAfee de diminuer de moitié ses dépenses en service à la clientèle.
Et si le mouvement coopératif faisait de la relation privilégiée avec ses membres un moteur pour innover?
Si ces marques parviennent à mobiliser bénévolement leurs clients, c’est entre autres parce qu’elles ont compris que le Web social bouleverse les règles établies. Nous entrons dans une ère sociale où les acheteurs deviennent eux-mêmes les commerçants (eBay), les téléspectateurs des producteurs (YouTube) et les amateurs d’œuvres d’art des marchands (Etsy).
Elles ont aussi compris que plus les personnes se connectent entre elles autour d’un produit ou d’un service, plus cela crée de la valeur (ex : l’univers des applications iPhone). Qu’une communauté en ligne dynamique est un gage de longévité. Que les gens se mobilisent autour de ce qu’ils contribuent à créer. Qu’il n’y a pas de recette éprouvée quand on explore de nouveaux territoires, sauf celle de mettre son produit ou service entre les mains de ses clients et de l’améliorer sans cesse.
Et si le mouvement coopératif repensait les relations avec ses membres à la lumière du Web social? Je vous propose trois pistes de réflexion.
- Une forme de démocratie plus participative
La délibération en assemblée générale est essentielle lorsqu’il est temps de prendre les décisions importantes. Mais le Web social est l’endroit par excellence pour élaguer les irritants simples, vider les points de friction sur une base continuelle, explorer de nouvelles idées, redonner au membre un véritable pouvoir et délibérer à l’année longue.
La plateforme OpenIDEO (openideo.com) est un bel exemple d’outil de délibération en ligne. Des organismes lancent un défi à la communauté pour proposer des solutions à un problème réel. Les participants votent et choisissent des solutions qui seront ensuite retravaillées par leurs promoteurs (avec l’aide de l’organisation) et resoumises au vote et au débat et ce, jusqu’à ce qu’une ou des solutions émergent, à la satisfaction de la majorité.
- Une communauté d’entrepreneurs coopératifs
On ne compte plus les membres talentueux prêts à contribuer au développement des coopératives. Comment les connecter aux décideurs des coopératives?
Les plateformes de sociofinancement de type Indiegogo (indiegogo.com) mettent en valeur des idées novatrices promues par des promoteurs privés. Qu’est-ce qui nous empêche d’en faire une version adaptée aux collectifs qui ont des idées de coopératives?
Les communautés de développeurs informatiques regorgent de personnes créatives et engagées dans leur communauté. Les hackathon sont des concours où on invite les développeurs à s’attaquer à un problème social ou urbain durant un sprint de 24 ou 48 heures (et où on fournit le coke et la pizza, bien sûr!). La Ville de Montréal en a déjà quelques-uns à son actif.
- Planifier moins, corriger plus
Penser grand, démarrer petit, évoluer rapidement : c’est cette approche qui permet à Google d’innover. Une foule de produits et services imparfaits et en construction sont lancés, soumis au verdict des utilisateurs. Plusieurs meurent, mais d’excellents émergent.
Il serait naturel pour les coopératives d’adopter une approche semblable, d’autant qu’elles peuvent tester en direct et en permanence avec leurs membres.
Conseiller en stratégie interactive, André Bélanger collabore avec diverses coopératives à l’égard de leurs stratégies de contenu, technologies, médias sociaux et conclusion de partenariats stratégiques.