VĂ©ronique Chagnon
« La coopĂ©rative ne vous appartient pas, vous ne lâhĂ©ritez pas de vos parents, vous lâempruntez Ă vos enfants. » Câest Ă©crit en lettres noires sur la premiĂšre page du rapport annuel, comme un leitmotiv qui oriente toutes les actions de la coopĂ©rative. La maxime conclut le mot de Guido Veys, prĂ©sident de Milcobel, une coopĂ©rative de producteurs laitiers belge.
Une coopĂ©rative, mais pas nâimporte laquelle : un gĂ©ant dont lâĂ©quivalent quĂ©bĂ©cois serait Agropur. Un million de litres de lait produits en 2010, le distributeur du tiers du lait sur le territoire belge et un chiffre dâaffaires annuel de prĂšs de 825 millions de dollars.
MalgrĂ© tout, Milcobel se prĂ©pare Ă relever tout un dĂ©fi. En 2015, les quotas qui rĂ©gulent la quantitĂ© de lait offerte sur le marchĂ© europĂ©en tomberont et, avec eux, le contrĂŽle des prix. Pour faire face Ă la musique et trouver des moyens crĂ©atifs dâaborder cette nouvelle Ăšre, la coopĂ©rative a choisi de miser sur ses jeunes.
« Depuis la naissance de Milcobel, en 2005, Ă la suite dâune fusion entre deux coopĂ©ratives existantes, lâintĂ©gration des jeunes a toujours Ă©tĂ© une prioritĂ© », raconte Eddy Leloup, directeur des affaires coopĂ©ratives. Mais pour prĂ©parer lâaprĂšs-quota, leur apport est primordial. « Ce sont nos plus jeunes membres qui continueront de produire longtemps aprĂšs 2015, donc il faut tenir compte de leurs idĂ©es. »
« En Belgique, la plupart des besoins fondamentaux sont aujourdâhui satisfaits, et crĂ©er une coopĂ©rative relĂšve le plus souvent dâun choix philosophique que dâune nĂ©cessitĂ©. La culture entrepreneuriale est peu dĂ©veloppĂ©e, celle de lâentrepreneuriat collectif encore moins…
Dans ce contexte […], les entreprises coopĂ©ratives ont un rĂŽle essentiel Ă jouer pour promouvoir le modĂšle auprĂšs de lâopinion publique et Ă©duquer leurs coopĂ©rateurs, travailleurs et instances. PrĂ©sentations aux nouveaux coopĂ©rateurs ou sessions complĂštes de formation aux administrateurs, sĂ©ances dâinformation aux travailleurs ou campagnes de promotion auprĂšs du grand public, parrainage des nouveaux collaborateurs […] ne sont que quelques solutions pouvant ĂȘtre mises en place pour permettre Ă toutes les parties de comprendre le fonctionnement et les enjeux dâune sociĂ©tĂ© coopĂ©rative, et les amener Ă y prendre une part active et responsable. »
– Jean-Pierre PollĂ©nus, directeur de Febecoop, Belgique
Pour stimuler leur intĂ©rĂȘt, la coopĂ©rative de producteurs recrute les jeunes membres afin quâils siĂšgent Ă divers comitĂ©s. La coopĂ©rative est mĂȘme allĂ©e jusquâĂ lâinscrire dans ses rĂšglements : le conseil de la coopĂ©rative â un organe chargĂ© de dĂ©battre des orientations Ă prendre par le conseil dâadministration â doit ĂȘtre composĂ© dâau moins 25 % de jeunes. Et Milcobel organise frĂ©quemment des rencontres oĂč le micro leur appartient.
Câest dâailleurs lĂ que Ludovic Mestdagh, 29 ans, a fait ses premiers pas au sein de la coopĂ©rative. Les dirigeants avaient organisĂ© une rĂ©union destinĂ©e Ă prendre le pouls des jeunes sur la question de lâaprĂšs-quota. Ludovic a sautĂ© sur lâoccasion. « CâĂ©tait lâoccasion de dire comment je voyais la production laitiĂšre aprĂšs 2015 », se souvient Ludovic, qui est associĂ© avec ses parents dans la ferme familiale.
CâĂ©tait en fĂ©vrier 2010. Aujourdâhui, il fait partie du comitĂ© francophone de Milcobel. « Jâavais bien aimĂ© la rĂ©union, donc quand ils mâont demandĂ© de faire partie du comitĂ©, jâai acceptĂ© », se rappelle le jeune fermier. Il trouve lâexpĂ©rience enrichissante. « Ăa me permet de mieux comprendre comment ça fonctionne au sein de la coopĂ©rative, en plus dâexposer ma vision des choses », se rĂ©jouit celui qui est convaincu que le modĂšle coopĂ©ratif apporte la meilleure garantie aux fermiers dans un contexte europĂ©en.
Ludovic aura bientĂŽt droit Ă une journĂ©e de formation sur la distinction coopĂ©rative, dans le cadre de celles que Milcobel tient chaque annĂ©e pour outiller ses jeunes membres et leur rappeler les rouages coopĂ©ratifs. « Ăa nous permet de repĂ©rer dĂšs le dĂ©part ceux qui ont le plus de potentiel, ceux qui pourraient un jour faire partie du conseil dâadministration, explique Eddy Leloup. Nous voyons cela comme un investissement pour lâavenir. »
« Les jeunes ont une vision et une attitude plus dynamiques. Câest en se basant sur leurs visĂ©es quâon peut Ă©laborer la stratĂ©gie la plus pratique », ajoute-t-il. Eddy Leloup souligne que les consultations auprĂšs des jeunes ont pointĂ© vers des amĂ©liorations de la stratĂ©gie de marque et de la communication avec les membres.
Humble, Ludovic ne croit pas que les jeunes aient plus ou moins de dynamisme que les vĂ©tĂ©rans de Milcobel. « Câest surtout un moyen de dire aux gens qui Ă©taient dans les cercles de la coopĂ©rative : âIl y a une autre gĂ©nĂ©ration derriĂšre vous qui a des objectifs Ă atteindre.â Câest un moyen de leur dire de penser Ă nous », estime-t-il.
Quoi quâil en soit, la mĂ©thode de Milcobel porte ses fruits. Ludovic songe Ă siĂ©ger un jour au conseil dâadministration. « Pour le moment, je me consacre Ă prĂ©parer lâavenir de ma ferme, mais plus tard, je me dis : Pourquoi pas? »