Panel : Habitation collective
Félix Delage-Laurin
Les baby-boomers. Une génération d’hommes et de femmes, nés entre 1948 et 19641, qui ont ou qui auront atteint 65 ans d’ici quinze ans, soit l’âge de la retraite. Retraite ne rime pas avec retrait du monde pour cette génération aux valeurs particulières et aux besoins différents des générations précédentes, qui représente aujourd’hui le tiers de la population d’Amérique du Nord. En 2014, plusieurs baby-boomers réfléchissent au lieu dans lequel ils voudront vivre leurs vieux jours. C’est le cas de Janet Torge, fondatrice du mouvement Radical Resthomes, qui crée des groupes de discussion sur le sujet. Diane Dufort est membre de la Coopérative Rêve Bleu à Verdun, hébergeant des femmes seules de 50 ans et plus. L’architecte Owen Rose imagine et conçoit plusieurs espaces résidentiels tandis que Aziz Dennoune est directeur général de Reseau2000+, une organisation de développement d’habitation communautaire affiliée à la Fédération des coopératives d’habitation intermunicipale de Montréal (Fechimm). Francyne Morin, directrice de la publication Coopoint e Félix Delage-Laurin, journaliste, les ont réuni autour d’une table pour essayer d’imagine les baby-boomers et… l’espace de retraite de leurs rêves.
Qui sont les baby-boomers?
Francyne Morin et Félix Delage-Laurin (F.M. & F.D.L.)
On dit que les baby-boomers représentent une génération de gens scolarisés, celle qui a eu accès à l’université en masse. Par le fait même, ce sont des gens aux goûts sélectifs, plutôt anticonformistes – par opposition au concept de la solution unique pour tous – et qui n’ont pas peur d’exprimer leur différence et d’être à contre-courant (rappelons-nous les émeutes de Berkeley, mai 68 à Paris, etc.). Dans cette optique, pensez-vous que les formes de logement pour ainés qui existent à l’heure actuelle – où les gens sont rassemblés dans de grands complexes qui proposent un régime de vie très organisé sous forme de services payants – représentent ce que recherchent les baby-boomers?
Janet Torge (J.T.)
Il y a beaucoup de baby-boomers qui sont seuls, autant des femmes que des hommes. Les baby-boomers se retrouvent aussi avec des maisons vides, les enfants étant partis de la maison. La plupart des baby-boomers qui m’ont téléphoné pour joindre un groupe de discussion ne veulent pas aller dans un condo parce que ça implique qu’ils devront déménager une autre fois lorsqu’ils seront en perte d’autonomie. On veut s’installer maintenant et rester au même endroit pour le reste de notre vie. J’entends beaucoup de baby-boomers qui me disent «…ce n’est pas pour moi…» en parlant des résidences existantes pour aînés, où on mange à heures régulières et où l’administration décide à la place des résidents. Les décisions sont toujours prises en fonction des intérêts de l’institution. On mange à heure fixe et on est obligés d’aller à la cafétéria à quelques reprises dans la semaine pour rentabiliser la cafétéria. En plus, ce sont des services qui coûtent très cher, demandant jusqu’à 3000 $ par mois. Beaucoup de gens savent ce qu’ils ne veulent pas, mais le défi est de définir ce qu’ils veulent! Il faut amener les gens à se réunir et à discuter de questions aussi concrètes que: qui va s’occuper de faire la toilette des gens plus âgés? Que ferons-nous avec une personne qui souffre d’Alzheimer ? Avec combien de personnes voulons-nous habiter ? Veut-on aller dans une coopérative intergénérationnelle? Il y a beaucoup de modèles possibles et moi je veux aider les gens à définir ce qu’ils veulent. C’est le but de Radical Resthomes.
F.M. & F.D.L.
Le défi est donc de définir les besoins clairement. M. Dennoune, vous êtes amené à réfléchir sur ces questions-là dans le cadre de votre travail: qu’auriez-vous à dire sur l’incompatibilité des solutions actuelles offertes aux gens qui cherchent leur future maison de retraite?
Aziz Dennoune (A.D.)
Je crois qu’il s’agit davantage de définir à quel type de personnes on fait face. Les personnes autonomes entre 55 et 65 ans ne sont pas les mêmes que celles entre 65 et 75 ans qui peuvent être en légère perte d’autonomie. J’insiste ici sur la définition du besoin. De quoi a-t-on besoin? Quel modèle pourrait correspondre à tel besoin ? C’est là que les programmes comme AccèsLogis2 doivent s’adapter régulièrement aux besoins évolutifs. Ils ont une vision unique. Maintenant, la réalisation d’un projet physique – l’architecte est ici pour nous en parler – est l’expression d’un projet social. Le défi est de bien définir la problématique et le besoin social. La problématique est que ce sont des personnes qui ont besoin de sécurité, qui ont parfois besoin de soins, qui sont parfois en perte d’autonomie. Il faut catégoriser cette clientèle-là. Je pourrais ici rejoindre la formule coopérative dans le sens où ça donne une opportunité aux personnes de concevoir leur propre milieu de vie.
Diane Dufort (D.D.)
Pardon de vous interrompre, mais pensez-vous qu’actuellement, la manière dont sont organisés les projets et la volonté politique derrière la construction de logements sociaux permettent réellement que des groupes se prennent radicalement en charge et construisent de nouvelles manières de vivre dans les coopératives, les OBNL, etc. ? À ce moment-ci de notre histoire, je ne suis pas vraiment certaine…
A.D. Je pense qu’il faut voir comment, à partir des programmes existants, on peut améliorer les choses. Je crois que le modèle de coopérative de solidarité conviendrait bien parce que dans ce modèle, les membres sont capables de s’impliquer, de faire des travaux, l’administration. Il faut aussi se questionner sur l’assistance dont ont besoin les gens qui se regroupent.
J.T. Le besoin d’assistance n’est pas le même pour tous. Moi, quand je me visualise à 75 ans, je me vois vivre avec mes amies, qui prendront soin de moi. Et si vraiment, j’ai besoin d’assistance et que les personnes qui vivent avec moi en ont besoin, j’aimerais que l’assistance vienne à nous dans notre lieu de vie, et non l’inverse. Il faut changer le sens de l’assistance et de toute façon, ça coûte moins cher au gouvernement de faire ainsi. Je ne veux pas avoir à déménager le jour où j’aurai besoin de soins. Pourquoi l’assistance ne viendrait-elle pas à moi, à nous?
A.D. Je crois qu’il y a une possibilité de concevoir un modèle qui serait convenable à ces évolutions là. On pourrait faire des projets mixtes, c’est-à-dire un endroit en plusieurs volets, qui s’adresse à des personnes âgées autonomes, mais aussi à des personnes âgées en légère perte d’autonomie. Un genre de coopérative intergénérationnelle.
D.D. J’ai vu un reportage en Suède d’une femme complètement handicapée vivant seule, qui était une professeure d’université entourée de ses livres. Elle avait seulement besoin d’aide pour sortir de son lit le matin et une fois qu’elle était assise sur sa chaise, elle fonctionnait toute la journée. Quelqu’un du CLSC du coin venait tous les matins et les midis avec sa voiture et lui donnait ce genre de services adaptés. Ça m’a marqué. Et ça coûte moins cher ces services, que de tenir les maisons de retraite qui coûtent une fortune. D’autre part, j’ai connu quelqu’un qui vivait dans une maison de retraite en France et lorsque je suis allé le visiter, il y avait du vin offert sur la table, à tous les repas. Ça fait 15 ans de ça. On n’a pas évolué ici. Quand je reçois chez moi, j’ai envie d’offrir quelque chose à boire à mes amis, ça fait partie de mes valeurs, mais dans les maisons de retraite publiques, c’est impossible. Tout est encadré, prévu.
A.D. Je crois qu’il faut aussi regarder du côté de ce que les municipalités peuvent faire. Pourquoi les municipalités n’exercent pas le pouvoir de réserver des terrains proches des services pour construire de futures habitations pour seniors de tous les âges en vue de leur créer des milieux de vie adéquats? Au lieu de faire déplacer des infirmières pour donner des soins à plusieurs personnes dans différentes maisons éloignées, pourquoi, dans le futur, ne pas regrouper ces personnes sous un même toit, sur un terrain préalablement réservé par la ville? Ça coûterait moins cher pour aller offrir de l’assistance aux gens, dans le sens où Mme Torge l’a évoqué tout à l’heure.
Owen Rose (O.R.)
Je vous écoute tous beaucoup depuis le début. Je crois qu’il faut considérer qu’on fait face à une génération scolarisée, et que lorsqu’on prend notre retraite vers 55 ou 60 ans, on est encore tout à fait autonome. Il y a donc une force bénévole intelligente qui s’active et c’est cette force qui serait intéressante de placer dans les futures maisons intergénérationnelles dont on parle, afin d’aider les résidents plus âgés. De plus, je note que les baby-boomers ont une individualité et une personnalité très forte et qu’ils ont le désir de s’associer dans des coops qui correspondent à leur style de vie. Par exemple, une coop pour les femmes célibataires, une coop pour les avocats, les artistes, une coop pour les cols bleus, etc.
J.T. Oui, ça s’appelle des intentional communities (communautés intentionnelles ou d’affinités). Dans ces types habitations, les collaborations entre les résidents deviennent naturelles, car ils partagent tous souvent les mêmes intérêts et le même style de vie et il y a une confiance qui s’établit. Par exemple, nous retrouvons au Québec des coopératives d’habitation pour les artistes ou des coopératives pour les gens soucieux d’environnement, comme Le Coteau Vert, dans Rosemont-La Petite Patrie.
O.R. Il y a, grosso modo, trois formes de logements possibles, hormis les résidences pour seniors privées. La forme coopérative, la forme de co-housing3, la forme HLM. Dans tous ces types – et les nouveaux à créer -, il faut considérer la localisation, la proximité des services, qui est importante. Il faut aussi viser la rentabilité dans le logement, notamment il faut penser à où on placera les différents résidents en fonction de leur autonomie. Il faut penser à la possibilité d’avoir un ascenseur, pour les personnes moins autonomes, sans que ça devienne une tour à logements. Certaines études démontrent qu’il est préférable de construire des bâtiments de 4 ou 5 étages et que c’est dans les logements de type triplex, où les gens se sentent le mieux.
Le début d’un mouvement à un logement.
Au terme de la discussion, les quatre membres du panel en sont venus à cette conclusion: Les façons de s’impliquer changent avec les générations… Les baby-boomers ont toujours été des catalyseurs de changement; ils sont informés, ils ont du temps ils cherchent à prendre part activement à cette réflexion sur les espaces collectifs « nouvelle vague». Pourquoi ne pas créer des alliances entre les groupes de discussions tels Radical Resthomes et les Groupes de ressources techniques en habitation communautaire (GRT) qui offrent du soutien aux gens qui veulent créer des espaces nouveaux ? «Il faut propulser ce genre de comité. Il faut même oser regrouper ces gens par affinités, par styles de vie. Ils seront plus forts ainsi et leurs revendications iront davantage dans le même sens. Ce sera utile pour faire valoir leur point auprès d’AccèsLogis. »
On attend la suite!
- Voir: Entre le Boom et l’Écho : Comment mettre à profit la réalité démographique, David Foot, Les Éditions du Boréal, 1996 –révisé en 2000.
- «AccèsLogis Québec est un programme d’aide financière qui encourage le regroupement des ressources publiques, communautaires et privées. Il vise à favoriser la réalisation de logements sociaux et communautaires pour les ménages à revenu faible ou modeste, ou encore pour des clientèles qui ont des besoins particuliers en habitation. » Tiré du site internet de la Société d’habitation du Québec: http://www.habitation.gouv.qc.ca/espace_ partenaires/groupes_de_ressources_ techniques/groupe_de_ressources_ techniques/programmes/acceslogis_quebec/ developpement_dun_projet/presentation_ dacceslogis.html
- Il s’agit d’acheter une unité dans un ensemble, mais en excluant de l’acheter avec l’idée que sa valeur foncière va monter en flèche et qu’il y aura un immense profit ultérieurement. La valeur de l’unité montera certes avec l’inflation, mais lors de la vente, le prix demandé sera la valeur initiale auquel on aura ajouté l’inflation. Ça ne tiendra pas compte de la spéculation, qui augmente habituellement beaucoup le prix. Le co-housing permet ainsi à un plus grand nombre