Félix Delage-Laurin
Comment les coopératives peuvent-elles contribuer à bâtir un avenir meilleur? Quels sont les défis qu’elles auront à relever? Quel est leur pouvoir dans un monde en pleine redéfinition économique? Ces questions, plusieurs se les posent, au moment où le monde coopératif sort mieux outillé d’une première rencontre internationale et s’apprête à vivre une deuxième en 2014. En cette période d’entre-sommets, permettons nous un retour sur cet événement et un regard vers l’édition 2014 avec Stéphane Bertrand, directeur exécutif du Sommet international des coopératives et Jean-Pierre Girard, chargé de cours, expert du modèle coopératif et collaborateur au Sommet.
En octobre 2012, au moment où se tenait à Québec le premier Sommet international des coopératives, l’Année internationale des coopératives battait son plein. En eet, une résolution adoptée par l’Organisation des Nations Unies (ONU) avait décrété l’année 2012 comme une occasion de « promouvoir les coopératives et faire connaître la contribution qu’elles apportent au développement économique et social ».
L’idée de créer un Sommet était toute indiquée, dans le contexte économique et social du moment. « C’était quatre ans après la débâcle financière de 2008–2009. Le monde avait changé. On a vu de nouvelles situations apparaître, telles que Occupy Wall Street, les manifestations en Espagne, etc. Il y avait beaucoup de mouvements sociaux qui, dans une certaine mesure, cherchaient à redéfinir le système économique » explique Jean-Pierre Girard.
C’est dans ce contexte qu’est venue l’idée de créer une grande rencontre internationale, destinée bien sûr aux gens du mouvement coopératif, mais aussi à ceux qui n’en font pas partie. Ainsi, au sein des 2 800 personnes (provenant de 91 pays) présentes au Sommet de 2012, entre 20 % et 25 % ne provenaient pas d’entreprises coopératives. « On fait ce Sommet pour faire éclater le modèle coopératif au grand jour afin que les autres le voient et le perçoivent comme un modèle d’avenir » explique Stéphane Bertrand.
Le but avoué était de faire connaître « l’Étonnant pouvoir des coopératives ». Étonnant pouvoir? Oui, car comme l’explique M. Girard, les coopératives ont fait preuve d’une résilience hors du commun durant la récession de 2008. « Les coopératives sont passées à travers la crise avec succès. Dans le domaine bancaire, aucune coopérative n’a fait faillite; ça n’existe pas. […] Les coopératives, en raison de leur vision à long terme, sont beaucoup plus flexibles et capables de s’adapter aux conditions du marché » explique-t-il. D’ailleurs, une étude mondiale de l’Organisation internationale du travail (OIT) confirme cette résilience des coopératives.
Tout en montrant que les défis économiques d’une coopérative sont semblables à ceux d’une entreprise privée, le Sommet visait à présenter la place importante − et insoupçonnée par plusieurs − que prennent les coopératives dans le monde. « Ce qui change, c’est la vision du développement. L’entreprise coopérative n’est pas prise dans l’engrenage des sociétés cotées en bourse et possède une vision à plus long terme », explique M. Girard.
En ajoutant à cette vision l’avantage coopératif d’une gouvernance démocratique, basée sur le principe « un membre, un vote » et non pas sur l’importance du capital investi, « on s’est rendu compte que les entreprises coopératives ont beaucoup plus de résilience » confie M. Girard. Là est tout l’« Étonnant pouvoir des coopératives ». Un modèle à découvrir et à adopter, comme une réponse toute indiquée au contexte économique d’aujourd’hui.
Vers 2014
Le deuxième Sommet, qui se tiendra de nouveau à Québec du 6 au 9 octobre 2014, sera l’occasion d’amener la réflexion plus loin. En effet, tout en poursuivant la démonstration entreprise lors du premier Sommet, en faisant prendre conscience de la force économique mondiale du modèle coopératif et en donnant les outils nécessaires aux gestionnaires pour continuer à affronter les nouveaux enjeux économiques, les chefs d’orchestre du Sommet de 2014 ont décidé de déployer leur regard vers l’avenir. « Tout comme en 2012, nous aborderons le développement et le renforcement de l’entreprise coopérative et nous traiterons des coopératives financières dans un monde en évolution. On veut aussi appliquer concrètement la force des coopératives à trois grands enjeux auxquels l’humanité devra faire face, à savoir la sécurité alimentaire, l’accès aux soins de santé et aux services à la personne et la crise mondiale de l’emploi », explique M. Bertrand.
Le développement et le renforcement de l’entreprise coopérative
La gouvernance, la gestion des talents, la capitalisation, le financement et la satisfaction des besoins évolutifs des membres et des clients demeurent des enjeux de tous les instants pour les entreprises coopératives et les mutuelles. Les gestionnaires viendront partager des expériences et comparer des outils.
Les coopératives financières dans un monde en évolution
L’effondrement des marchés de 2008 laisse encore des traces. Les banques centrales et les organismes de réglementation interviennent davantage, ce qui crée une incidence sur les règles de financement et de capitalisation des coopératives financières. Prudents, les clients exigent plus de sécurité pour eux-mêmes, et plus de transparence pour les institutions qui administrent leur argent et qui assurent leurs biens. Résilientes et dotées d’une rigoureuse gouvernance, les coopératives financières offrent une solution fiable.
« Nous désirons créer une base de données universelle sur le milieu coopératif ».
« En tant qu’enseignant, il est difficile, au Québec, de trouver des sources à jour, des études, des témoignages sur le milieu coopératif. Le Sommet a l’ambition de créer un portail internet qui regroupera ces informations. C’est une idée lumineuse, car il y aura une accessibilité universelle à ce contenu. Ce sera une ressource de grande valeur qui comblera une lacune actuelle. » – Jean-Pierre Girard
La sécurité alimentaire
La population mondiale se chiffrera à 9 milliards de personnes en 2050, il faudra doubler la production alimentaire. « On retrouve près de 40 % des coopératives dans le secteur agricole et agroalimentaire. En Corée du Sud, 90 % des agriculteurs sont membres d’une coopérative. Ce secteur va connaître une croissance et les entreprises coopératives vont être des acteurs importants pour assurer la sécurité alimentaire partout dans le monde. Les coopératives vont être les premières interpellées pour livrer la marchandise et ça, c’est extraordinaire. On va le démontrer au Sommet », expose Stéphane Bertrand.
L’accès aux soins de santé et aux services à la personne
Dans un contexte d’un vieillissement de plus en plus marqué de la population, l’accessibilité aux soins de santé et aux services à la personne sera un enjeu important. « Ce que l’on voit en ce moment, c’est que les gouvernements sont de plus en plus endettés, la recherche et la pharmacologie coûtent de plus en plus cher, les gouvernements cherchent à se retirer du panier de services qui est offert et poussent les gens vers des compagnies d’assurances privées, comme on peut le voir aux États-Unis présentement. Or, les compagnies d’assurances privées ne prendront que des bons risques et les gens plus à risque ne trouveront pas d’assurances. C’est là qu’entre en jeu tout le pouvoir innovant des mutuelles, qui, bien avant tout le monde, ont réussi à mutualiser le risque au bénéfice de toutes les personnes au sein d’une région. « Les coopératives de santé seront appelées à jouer un rôle de plus en plus grand. D’ailleurs, même si personne n’en parle, on voit apparaître de plus en plus de coopératives de santé de médecins. C’est un enjeu qui nous interpelle », explique M. Bertrand.
C’est toute la conception de la santé qui va changer, prévient M. Girard. « Il ne s’agira pas seulement d’avoir accès à son hôpital ou à sa clinique, mais de pouvoir recevoir des soins de santé plus globaux et d’avoir accès à des résidences adaptées pour les personnes âgées, à des services funéraires à coût abordable. D’ailleurs, dans ce dernier domaine, les coopératives ont développé toute une expertise pour accompagner humainement les familles endeuillées. Et ce qui est bien, rappelons le, c’est qu’en mode coopératif, il n’y a pas d’exclusion en fonction des revenus de la personne. Les coopératives seront un joueur majeur dans ce domaine », explique M. Girard.
La crise mondiale de l’emploi
Le dernier enjeu abordé sera celui de la création d’emplois. « On vit en ce moment une crise de l’emploi. On a plusieurs exemples de coopératives qui ont perdu beaucoup moins d’emplois, voire qui en ont créé depuis la récession de 2008, dans des circonstances très difficiles. La région de Mondragón, en Espagne, regroupe des centaines de coopératives de travailleurs. Elle a connu un taux de croissance de 8 % au niveau de l’emploi, alors que le taux de chômage est de 25 % dans le pays. C’est un exemple frappant de la force des coopératives dans ce domaine », illustre M. Bertrand.
Un Davos de la coopération
« Le Sommet est là pour durer. On aimerait créer une espèce de Davos de la coopération. On a l’ambition de faire ce Sommet à tous les deux ans au Québec pour créer un événement récurrent très fort pour les leaders du monde coopératif », conclut Stéphane Bertrand.