Véronique Chagnon
« On veut casser cette image que les gens ont parfois des coopératives, qu’on est une bande de tout croches », lance d’emblée Hélène Daneau entre les rayons épurés de la Coopérative de l’Université de Sherbrooke. La nouvelle directrice générale est fière de l’allure que prend son bébé sous les coups de marteau des travailleurs chargés de lui administrer une cure de rajeunissement.
CINQUIÈME PRINCIPE : ÉDUCATION, FORMATION ET INFORMATION
Les coopératives fournissent à leurs membres, leurs dirigeants élus, leurs gestionnaires et leurs employés l’éducation et la formation requises pour pouvoir contribuer efficacement au développement de leur coopérative. Elles informent le grand public, en particulier les jeunes et les dirigeants d’opinion, sur la nature et les avantages de la coopération.
Et pour ranimer l’image du modèle coopératif dans la communauté, madame Daneau ne se contente pas de rénover ses locaux. Depuis son arrivée, en juin 2010, la directrice générale cogne de porte en porte pour expliquer le modèle coopératif aux chambres de commerce comme aux associations étudiantes.
L’Université de Sherbrooke est un terreau fertile pour l’initiative coopérative. Créée en 1966, la Coopérative de l’Université de Sherbrooke a été mise sur pied afin de s’assurer que les étudiants reçoivent des services qui répondent à leurs besoins, de créer des emplois pour les étudiants et de réinvestir les surplus dans la communauté. Au fil des ans, la coopérative a su s’adapter au rythme des besoins et des attentes des membres et des partenaires du milieu. Aujourd’hui, elle offre entre autres les services de librairie, de papeterie et est détaillant Apple sur tout le campus. Elle compte environ 20 000 membres et en accueille 5 000 nouveaux chaque année, soit près de la totalité des nouveaux étudiants de premier cycle.
Le campus regroupe en plus L’Estudiantine, une coopérative de solidarité en habitation, ainsi que Café CAUS, la coopérative alimentaire mise en place en 2009 à l’initiative des étudiants qui avaient une dent contre la multinationale Chartwells, ancien concessionnaire du service de cafétéria. La première coopérative de santé dans un milieu universitaire au monde se trouve aussi à l’Université de Sherbrooke.
Pourtant, peu de voix s’élevaient jusqu’à maintenant pour porter le message coopératif. « En arrivant ici, je pensais que c’était un acquis », se rappelle madame Daneau. « Mais, à mon grand étonnement, il reste encore beaucoup d’éducation à faire. » Malgré la présence de l’Institut de recherche et d’éducation pour les coopératives et mutuelles (IRECUS) à l’intérieur des murs de l’Université, le modèle coopératif demeure méconnu des gens d’affaires de la région et même des instances universitaires. En effet, même si Alain Webster, vice-recteur au développement durable, affirme qu’il a « un préjugé favorable » envers le modèle coopératif, il s’empresse d’ajouter que l’Université cherche d’abord et avant tout un plan d’affaires viable avant d’accepter la mise sur pied d’un projet. La crainte de se retrouver avec une entreprise chancelante menée par une équipe sans expérience persiste.
C’est donc pour démontrer à la communauté que le modèle coopératif est porteur de succès que madame Daneau a entrepris de déboulonner, un conseil d’administration à la fois, les mythes rattachés au modèle coopératif. « Moi, je gère une entreprise de 150 employés qui fait 10 millions de chiffre d’affaires par année. Ce n’est pas juste un modèle de crève-faim », explique la fille d’un ex-vice-président de Desjardins, conquise par les valeurs et principes coopératifs. Avec son aplomb, elle a réussi à rallier au conseil d’administration de la coopérative monsieur Jacquelin Gagnon, directeur de comptes-marché commercial, chez Desjardins, et monsieur Serge Audet, président sortant de la Chambre de commerce de Sherbrooke, qui joindra les rangs de la coopérative à l’automne lors de la prochaine assemblée générale.
Depuis son arrivée à la Coopérative de l’Université de Sherbrooke, la directrice encourage aussi les cadres de la coopérative à siéger à divers conseils d’administration à travers la ville. « Je les envoie répandre la bonne nouvelle », rigole-t-elle.
Mais Jean-François Wehrung, président de la coopérative, est clair : l’éducation passe d’abord et avant tout par les employés. « Ils sont nos premiers ambassadeurs, ils sont aux premières lignes pour convaincre les membres », soutient-il. Pour remettre à l’avant le principe d’éducation et de formation qui avait, avoue monsieur Wehrung, été mis de côté pendant quelques années. La Coopérative de l’Université de Sherbrooke a donc offert cette année à ses employés des formations sur les avantages coopératifs.
Il s’agit de la première étape d’un parcours semé d’embûches avant de faire du modèle coopératif la référence pour les nouvelles entreprises de la région. « Il est difficile d’arriver à percer la communauté avec le message coopératif. C’est un changement de culture, ça prend du temps », rappelle le président.
« L’éducation et l’information des membres, c’est la base de tout, croit pourtant Hélène Daneau. Sinon, les gens ne sauront jamais pourquoi ils devraient participer à la coopérative. » Dans la grande cafétéria vitrée dirigée par Café CAUS, trois grandes affiches expliquent aux usagers que la cafétéria est gérée par leurs pairs et qu’elle distribue ses trop-perçus dans la communauté. Un premier pas vers une éducation aux membres qui se veut en expansion.
Depuis près d’un an, madame Daneau publie d’ailleurs chaque mois une chronique intitulée Des nouvelles de vos coops dans le journal du campus. Et, si les étudiants qui s’intéressent au modèle peuvent déjà venir faire des stages d’observation au sein de la Coopérative de l’Université de Sherbrooke, la coopérative souhaite aussi tisser des liens renouvelés avec l’IRECUS, qui pourrait par exemple se charger d’éduquer les membres.