Portrait de trois modèles d’innovation qui passent par la collaboration entre des coopératives et des innovateurs.
André Bélanger
La révolution numérique bouleverse toutes les industries et on a parfois l’impression que ça bouge partout ailleurs dans le monde, sauf au Québec. Or c’est faux. Pour en rendre compte, nous avons choisi de parler de trois bons coups d’ici, d’interroger des acteurs qui ont compris que l’innovation ne peut plus se faire en vase clos.
La forêt: innover avec la communauté universitaire
Que faire lorsque les marchés vous abandonnent et que votre industrie est en crise? On embrasse le numérique et on s’associe avec les acteurs les plus dynamiques de son industrie.
« On prépare notre révolution numérique, lance Jocelyn Lessard, directeur général de la Fédération des coopératives forestières du Québec (FCFQ). Et cela passe par la géomatique et le traitement des données. »
Le défi : passer d’une gestion intuitive et instinctive de la forêt à une gestion qui s’appuie sur les données collectées dans le réel. La hauteur des arbres, la qualité des essences, l’optimisation des plans de coupe: le numérique est le meilleur allié du bûcheron.
« On est en train de se monter une grande base de données partagée qui nous permettra d’avoir un étalonnage des pratiques de chacun. On veut que nos membres s’appuient sur ces indicateurs pour jauger leur performance en forêt plutôt que de ne s’en remettre qu’à leur instinct et à leur expérience », explique M. Lessard.
Le numérique peut aussi faciliter l’intégration de jeunes opérateurs sans expérience en forêt. « Les équipements en forêt sont équipés d’ordinateurs extrêmement sophistiqués qui peuvent aider l’opérateur à choisir les essences à couper ou les peuplements à épargner, mais ils sont encore trop complexes à configurer », déplore M. Lessard
Ces mêmes équipements coûtent aussi trop cher à entretenir. « On change des pièces trop souvent, alors que d’autres se brisent en forêt, dit-il. On pense être en mesure de réduire de 15% les frais d’entretien avec la technologie. »
Ce virage de la FCFQ vers le big data ou données volumineuses est rendu possible grâce à sa collaboration avec le consortium de recherche FORAC (de la forêt au client) de l’université Laval qui regroupe chercheurs, grands acteurs industriels et intervenants gouvernementaux.
« C’est le levier dont on avait besoin pour arriver éventuellement à convaincre nos membres d’accepter de partager leurs informations. Mais il n’y en aura pas de facile », précise M. Lessard.
Le livre: innover par le biais d’une coentreprise
La Fédération québécoise des coopératives en milieu scolaire, mieux connue sous Coopsco, est frappée de plein fouet par la révolution numérique et elle est en pleine mutation. Ses clients, les étudiants, embrassent le numérique et délaissent progressivement la librairie physique au profit du virtuel.
« Dans le cas des livres usagés, par exemple, les étudiants transigent directement par Facebook. Nous ne sommes plus le commerce de destination exclusif pour le matériel scolaire », explique Martin Robert, gestion produits et services numériques.
Qu’à cela ne tienne, Coopsco a lancé le projet Chinook, une ambitieuse stratégie omnicanal conçue pour servir les étudiants, les maisons d’enseignement et les enseignants sur toutes les plateformes et en tout temps. Car le numérique représente autant un défi et qu’une opportunité.
« On parie que si l’expérience d’achat est positive durant la vie d’un étudiant, elle va se poursuivre dans le mileu professionnel. On parie que le membre va continuer d’acheter ses livres avec Coopsco une fois ses études terminées», dit-il.
Pour opérer sa transformation numérique, Coopsco a choisi de marier son expertise du milieu scolaire avec l’expertise en marketing personnalisé de l’agence Relation1 au sein d’une coentreprise appelée Campus innovation. Une relation qui devrait être gagnant-gagnant pour les partenaires.
La finance: innover en se rapprochant des startups
Un anthropologue à temps plein, un poète en résidence et quelques informaticiens: voilà les ingrédients mis en place par le Desjardins Lab, un service rapide de prototypage à l’usage des équipes qui ont des enjeux d’innovation à résoudre.
« Notre objectif est d’expérimenter sans jugement, d’explorer dans les marges et d’apprendre, explique Federico Puebla, directeur innovation technogique et chef du Desjardins Lab. Notre indicateur de succès, ce n’est pas tant les réussites que le nombre d’expérimentations qu’on parvient à livrer dans une année. »
Le Lab n’est d’ailleurs pas à la recherche des bonnes idées des employés de chez Desjardins, mais de leurs bonnes questions. « Malgré toute leur bonne volonté, les employés nous arrivaient trop souvent avec des solutions déjà connues, alors on les aide à structurer leur démarche d’innovation, bien comprendre les problèmes qu’ils veulent résoudre, identifier des hypothèses de solutions et livrer des prototypes rapidement pour les tester », dit-il.
Pour innover, il faut sortir des cadres de pensée habituels et des lieux communs, et cela exige d’acquérir une culture d’innovation, la véritable mission du Desjardins Lab.
Le Lab est donc un périmètre physique et psychologique qui se projette hors les murs de Desjardins par le biais d’espaces loués à la Maison Notman, où les employés sont invités à faire des camps d’immersion dans l’univers des startups, et par le biais d’un partenariat avec des accélérateurs de startups montréalais, dont l’association Hacking Health.
Hacking Health est un mouvement international regroupant des acteurs en santé intéressés par l’innovation qui organise des événements, des rencontres, des hackathons (fins de semaine intensives de création de solutions numériques) et qui dispose de son propre accélérateur de startups en santé.
À l’automne 2016, le Lab et Hacking Health organisent un Coopérathon sur des thèmes reliés à la santé et à la fintech (technologies financières) avec de grands partenaires publics et privés. En six semaines, des équipes multidisciplinaires regroupant des professionnels de la santé et des développeurs informatique doivent imaginer une solution et en faire un prototype simple, convaincre un acteur institutionnel de soutenir leur projet et le présenter lors d’un événement public le 4 novembre 2016.
« Il faut en arriver à rapprocher les innovateurs et les grands donneurs d’ordre. C’est un des grands défis des prochaines années», explique M. Puebla.
André Bélanger est président de Hyperliens conseils, Créateur de liens d’affaires durables entre grandes entreprises et startups.