< Retour à la liste des articles 15 octobre 2012

S’engager pour l’autre

RESPONSABILITÉ MUTUELLE ET PERSONNELLE

Bernard Gélinas, M.D.

L’Organisation des Nations Unies a proclamé 2012 Année internationale des coopératives. Phénomène aux débuts modestes, les coopératives ont graduellement envahi le monde. À titre d’exemple, en un siècle, la coopérative fondée par Alphonse Desjardins a donné naissance à un empire financier d’envergure internationale. Depuis la chute de l’Empire romain, rares sont les empires financiers qui ont duré plus d’un siècle.

Le secret de cette réussite provient principalement des valeurs et des principes qui sous-tendent l’action des coopératives. Ce sont les membres qui décident volontairement de participer à un projet communautaire. Ils en définissent la nature et les buts, et déterminent les moyens à prendre pour y arriver. Ils en ont la propriété et en assurent la gestion par la représentation démocratique. Cette solidarité dans l’action et la volonté de partage expliquent pourquoi les coopératives sont si intimement liées à la vie des communautés.

Le Québec en est un exemple bien particulier puisque c’est la seule société au monde où plus de 50 % de l’activité économique est générée ou transige par l’entremise d’une forme ou une autre de société coopérative. Cette vie coopérative ne se confine pas seulement à la communauté locale ou régionale. Elle se traduit également par l’action internationale des coopératives. Pensons seulement un instant au rôle de Desjardins International, à l’importance des coopératives de microcrédit dans les pays en voie de développement et au rôle des coopératives agricoles et alimentaires dans le commerce équitable.

Ce sont là les formes les plus éloquentes des principes de solidarité et de partage, et des valeurs de responsabilité individuelle et collective, fondement même du mouvement coopératif. « S’engager dans le mouvement coopératif, c’est s’engager à maîtriser ensemble une destinée commune, à assumer ensemble la responsabilité de l’acte communautaire, constructeur d’une société équitable et conviviale1. » C’est dans l’interdépendance que le coopérateur donne son sens aux valeurs de responsabilité : mes actions ont un impact sur le projet que nous partageons. J’ai donc une responsabilité à l’égard des autres.

Le XIXe siècle a été celui de la révolution industrielle dans le monde européen. La puissance militaire qui en a découlé a donné naissance aux empires coloniaux de la première partie du XXe siècle. Puis vinrent deux terribles guerres mondiales, suivies de l’ère postcoloniale, où le colonialisme d’occupation politique et militaire a été remplacé par un impérialisme économique dont la planète souffre encore. Cependant, après 1945, le monde a assisté à un miracle. En moins de 50 ans, le Japon – pays dévasté à plus de 80 %, tant dans son industrie que dans ses infrastructures et ses ressources sociales – s’est hissé à la deuxième position sur l’échiquier économique mondial.

Le premier mobilisateur du Japon a été la naissance de coopératives de distribution alimentaire. Dans ce monde dévasté et désorganisé de l’après-guerre, il fallait d’abord nourrir les habitants avant de rebâtir le pays! Dans la misère, la solidarité commence toujours par le ventre…

De tout temps, on a vu naître des coopératives quand les besoins d’une communauté n’étaient pas satisfaits par les ressources et les services en place. Quand les membres de la communauté unissent leurs forces et leurs ressources pour combler ces besoins collectifs, ils accomplissent un geste de solidarité, mais manifestent aussi leur sens de la responsabilité mutuelle : je travaille à une meilleure qualité de vie pour ma communauté.

Au début des années 1960, les coopératives japonaises de distribution et de production alimentaire ont donné naissance aux coopératives de santé dont la Fédération des coopératives de santé et de services à domicile du Québec (FCSDQ ) s’inspire depuis quelques années pour développer l’approche préventive dans son action sur la santé.

Comme on le voit dans les exemples cités plus tôt, à la base de toute coopérative, il y a un engagement personnel des citoyens dans une responsabilité mutuelle de solidarité envers la communauté.

Jusqu’à tout récemment, pour la plupart des gens, la communauté était représentée par le groupe de personnes qui partagent le même espace citoyen, village, canton, ville ou pays. Cette conception s’est radicalement transformée depuis quelques années. On n’a qu’à voir l’évolution de la Communauté économique européenne pour s’en convaincre. Grâce aux moyens modernes de communication de masse, télévision, presse et Internet, notre village est maintenant la terre entière, et personne n’est indifférent aux drames de la planète : séisme haïtien, tsunami japonais, sécheresse dans la corne de l’Afrique ou agitation du printemps arabe.

Il est heureux que l’ONU ait déclaré 2012 Année internationale des coopératives. On ne peut que souhaiter que le sens de la responsabilité personnelle solidaire propre au mouvement coopératif se transmette aux peuples et aux gouvernements de toutes les nations, et que le XXIe siècle soit celui de la « coopération internationale », car il est à craindre que si le monde continue sur sa lancée actuelle de « compétition internationale », le siècle actuel ne sera pas plus glorieux que le siècle dernier.

Le Dr Bernard Gélinas est un des bâtisseurs du réseau de première ligne du système de santé québécois, d’abord comme cofondateur d’une des premières clinique familiale, puis comme un intervenant actif dans le développement des coopératives de santé, particulièrement en Outaouais. Il s’est fortement investi, en compagnie d’autres acteurs locaux, dans le démarrage de la Coop Santé d’Aylmer, puis siègera plusieurs années au comité santé du Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM).

  1. MARENGO, Michel. 2002. Le coopératisme : un projet d’avenir : une introduction à la pensée coopérative, Institut de recherche et d’éducation pour les coopératives et les mutuelles de l’Université de Sherbrooke (IRECUS), 122 p.

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