Stéphane Desjardins
Mot du rédacteur en chef
Je pratique ce métier depuis 35 ans, et c’est la première fois que je vis une chose pareille : entre le moment où j’ai réalisé des entrevues et celui où le magazine qui les publie est sorti des presses, il s’est écoulé plus de deux ans. Voilà bien un exemple des bouleversements créés par la pandémie.
Rassurez-vous : le contenu de ce magazine est plus pertinent que jamais. Car notre dossier sur l’intercoopération démontre la nécessité d’unir davantage nos forces, à un moment où l’économie est frappée par une inflation historique qui précipite les remises en question.
Dans ce contexte, le principe d’intercoopération fait place à des potentialités inouïes, mais permet aussi de mesurer les limites du dynamisme entrepreneurial au sein de l’écosystème de la coopération.
Justement, même si la COVID-19 donne des signes d’essoufflement, elle a exacerbé plusieurs phénomènes qui perduraient depuis des années, notamment la crise de la main-d’oeuvre, alimentée par les réalités démographiques, et l’inflation, pur produit de la déliquescence du concept du juste-à -temps.
Ce principe cher au néolibéralisme a en effet été mis à mal par les périodes de confinement covidiennes, qui ont ébranlé les chaînes mondiales d’approvisionnement. Cette crise a démontré les excès (et les limites) de notre société d’hyperconsommation, dont certains aspects ne sont pas tellement recommandables.
Est-il normal de pouvoir commander en ligne un t-shirt à 10 $ et de le recevoir le lendemain à sa porte, sachant qu’il a été fabriqué dans un atelier de misère à l’autre bout du monde, avec du coton cultivé par des semi-esclaves chinois exposés à des produits chimiques, et que son transport dans des conteneurs a généré une pollution monstre (un seul porte-conteneurs pollue autant que 50 000 voitures, et la flotte cargo mondiale compte 90 000 navires) ? Sans oublier les GES générés par la livraison express à domicile et l’infrastructure infonuagique.
Est-ce normal de pouvoir passer une semaine dans une république bananière pour moins de 2000 $, logé, nourri, transporté ? de changer de téléphone chaque année ? de conduire un VUS sans assumer les coûts engendrés par ses GES ? de construire des bungalows toujours plus loin à la campagne ? de consommer pommes, fraises ou tomates importées par camion sur plus de 5000 km ?
La pandémie a eu cela de bon : on ne pourra probablement jamais plus se déplacer, se nourrir, se loger et se divertir pour pas cher. Si c’est une tragédie pour les plus pauvres, la classe moyenne prendra peut-être enfin conscience de son empreinte écologique. Dans ce contexte, la coopération s’impose comme une manière de prévoir l’économie de façon plus pérenne et plus cohérente du point de vue éthique, écologique et social.
Enfin, il faut souligner l’importance de la transformation du CQCM, que nous abordons dans ce magazine. Cette modernisation, qui signale l’arrivée d’une nouvelle génération de coopérateurs, annonce un déploiement encore plus grand des ailes de la coopération dans toutes les sphères de la société québécoise.
Bonne lecture !
Stéphane Desjardins
Crédit photo mise à l’avant : @goumbik sur Unsplash