Véronique Chagnon
La concurrence agricole mondiale a les dents longues. Avec la rapide disparition des barrières douanières, le monde de l’agriculture subit de grands bouleversements. « Sans Chrysalide, on aurait été beaucoup plus à la merci des compétiteurs. » Laurent Proulx, président de la coopérative de producteurs Purdel, au Bic, et membre de la Coop fédérée a dû, comme les 85 autres coopératives membres, emboîter le pas à la grande mutation qu’administre l’unique regroupement de coopératives agricoles au Canada.
QUATRIÈME PRINCIPE : AUTONOMIE ET INDÉPENDANCE
Les coopératives sont des organisations autonomes d’entraide, gérées par leurs membres. La conclusion d’accords avec d’autres organisations, y compris des gouvernements, ou la recherche de fonds à partir de sources extérieures, doit se faire dans des conditions qui préservent le pouvoir démocratique des membres et maintiennent l’indépendance de leur coopérative.
Celle qui aime se faire appeler « La Coop » tente de se changer en papillon depuis près de quatre ans. Le projet Chrysalide a en effet été lancé en 2007 dans le but de ragaillardir des résultats financiers chancelants. La petite révolution en est aujourd’hui à ses derniers milles. Le monde de l’agriculture change, et, pour conserver leur autonomie financière, même les plus grands doivent s’ajuster.
La Coop fédérée est la bannière sous laquelle se regroupent des coopératives qui ont des activités dans les secteurs agricole, pétrolier (les pétroles Sonic) et quincaillier. Avec un chiffre d’affaires de près de 4,6 milliards de dollars par année, elle se classe quatrième au palmarès des plus grandes entreprises québécoises. Il y a longtemps que la coopérative n’a plus besoin de personne pour assumer le coût de ses activités. Mais, depuis quelques années, les choses ont changé. En 2006, elle affichait même un déficit qui atteignait des sommets inégalés en 85 ans d’existence. Pour conserver son indépendance financière, il lui fallait absolument revoir ses façons de faire.
La Coop fédérée s’est donc lancée dans un processus qu’elle a nommé en s’inspirant du cocon d’une chenille en transformation. « Chrysalide, c’est une volonté de se doter d’une arrière-boutique de classe mondiale tout en conservant nos vitrines localement », résume Claude Lafleur, directeur général de La Coop fédérée. Concrètement, Chrysalide centralise divers aspects de la production, dont l’approvisionnement et le marketing, tout en laissant la gestion quotidienne aux coopératives locales.
Contrairement à ses voisins américains, qui ont pour la plupart opté pour des fusions massives, La Coop souhaitait plutôt conserver toutes les entités membres telles quelles. Pas question non plus d’aller chercher des capitaux en entrant en bourse et en mettant de côté la formule coopérative. « La forme coopérative, c’est le secret de notre succès, assure Claude Lafleur. Même les plus grosses multinationales essaient de fidéliser leurs clients par toutes sortes de moyens. Nous, on a l’avantage d’avoir le lien humain direct et la proximité avec la communauté. »
Sa base, La Coop a réussi à la mobiliser en entier derrière le projet Chrysalide, malgré les changements draconiens qui s’imposaient. Tous les membres ont donné leur accord au projet.
Évidemment, un projet de cette taille ne se fait pas sans discussion. Selon ce qui était prévu, Chrysalide devait engendrer la fermeture de presque toutes les meuneries du réseau de coopératives dans un souci d’économie. Parmi d’autres, La Coop Alliance, de la Beauce, avait émis quelques réticences. « Notre meunerie a seulement un peu plus de quinze ans, explique Mathieu Couture, président. Elle est toujours rentable, et on se voyait très mal expliquer à nos membres qu’il fallait la fermer ou la vendre. » Les dirigeants ont ainsi discuté en personne avec Claude Lafleur, qui a finalement pris la décision de laisser La Coop Alliance administrer sa meunerie tant qu’elle serait rentable. « Pour nous, il n’y avait pas d’avantage ou de désavantage à laisser la meunerie opérer. On n’est pas dogmatiques », souligne Claude Lafleur.
Mais les agriculteurs voient surtout le bon côté de Chrysalide. Par exemple, le pouvoir d’achat regroupé de La Coop impressionne les fournisseurs et permet de dégager des marges de profit avantageuses tout en vendant à des prix compétitifs. « Les gens ont la coopération bien à cœur, mais quand la coopérative vend son grain un dollar de plus la tonne que le compétiteur, à 100 000 tonnes par année, les gens vont aller chez le compétiteur », illustre Laurent Proulx, de La Coop Purdel, bien content d’être en mesure de damer le pion à la concurrence avec la récente mise en place du système d’approvisionnement centralisé.
Bien sûr, il a fallu quelques ajustements. Laurent Proulx se rappelle d’ailleurs la fois où, le camion qui devait livrer le grain étant en retard, son moulin n’avait plus rien à se mettre sous la dent pendant deux jours. « C’est normal, il a fallu coordonner certaines choses, mais maintenant, ça fonctionne bien. »
Les dirigeants de la coopérative souhaitaient mener Chrysalide sans éliminer de coopératives. Mais, à terme, il se peut que certaines entités doivent fusionner. « La question se pose. Il y a six ans, on était 100, aujourd’hui, il en reste 85 », avance Claude Lafleur. L’autonomie complète, je n’y crois pas, poursuit-il. Il existe un grand paradoxe : pour maintenir leur indépendance, les coopératives doivent de plus en plus s’affilier. Le défi, c’est de faire les transformations nécessaires en respectant les principes coopératifs. »