Alma, l’informatique coopérative
Sophie Chartier
Il y a trente-cinq ans, un groupe de chercheurs en mathématiques appliquées de l’Université de Grenoble a eu l’idée d’unir ses forces dans le domaine de l’informatique industrielle en créant une coopérative, Alma, spécialisée dans le secteur de la découpe. Aujourd’hui, cette entreprise se distingue par sa structure en cellules, qui favorise l’esprit d’initiative de ses membres.
Dans les années 1970, les grandes industries et manufactures sont bien implantées en France. Les cerveaux derrière l’entreprise d’informatique Alma profitent de cette niche dans le domaine pour mettre au point des logiciels à la fine pointe de la technologie dans le secteur de la découpe industrielle, avec en tête, l’idée d’économiser le plus possible la matière première. Historiquement, la création de la coopérative – appelée en France «Scop», pour Société coopérative et participative – est très liée au secteur de la tôlerie. À ses débuts, Alma édite d’abord un logiciel de conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO) de grande précision destiné à l’industrie métallurgique.
Une histoire en croissance
Au cours des années 1980, l’expertise d’Alma se diversifie dans le secteur de la tôlerie industrielle. Les membres de la Scop mettant à la disposition de leurs clients des logiciels conçus pour la découpe de tôle épaisse, que l’on retrouve par exemple en construction ou en transport agricole. Dans les années qui suivent, Alma développera aussi une expertise en découpe 3D, qui permettra de consolider encore plus son expertise dans le secteur manufacturier.
Toujours animée par un désir de diversification de son activité professionnelle, Alma crée ensuite une division Systèmes et réseaux informatiques, pour assister les entreprises (surtout des PME) ou encore les institutions publiques dans l’acquisition et le déploiement d’infrastructures informatiques.
Dans les années 1990, dans le but de s’implanter encore dans de nouveaux horizons du domaine informatique, l’entreprise développe le volet Solutions collaboratives. Ce troisième secteur de compétences propose aux clients d’être suivi et conseillé dans le processus d’implantation d’outils de communication interne clé en main.
Plus récemment, un quatrième et dernier volet est inclus à la liste des métiers d’Alma : l’intégration et l’édition de solutions informatiques dans le domaine médical, avec une suite logicielle de gestion hospitalière développée par le Centre hospitalier universitaire de Grenoble. Cette suite logicielle est aujourd’hui utilisée dans plus d’une centaine de centres hospitaliers. Alma travaille d’ailleurs à l’implantation d’un système de gestion pour un autre type d’établissement du domaine de la santé, les pharmacies.
Avec ces quatre axes d’activités, la coopérative Alma peut se targuer d’agir dans différents domaines que touche l’informatique, de l’industrie de la construction au secteur de la santé.
Démocratie égalitaire
Dès ses débuts, la société française a cherché à s’imposer comme un vecteur d’initiative. Sylvain Cathebras, responsable des communications de la coopérative, y a fait son entrée il y a déjà vingt- cinq ans. Il a été témoin de son évolution à travers les années et surtout, de sa croissance au sein des différents axes de l’informatique. L’entreprise, explique-t-il, a été fondée sur un principe de partage, d’égalité et de valorisation des connaissances de chacun de ses membres et ces idéaux ne sont pas près de changer, en 2014. « La liberté d’expression est une valeur primordiale chez Alma. Il est certain que le domaine dans lequel nous agissons impose d’être compétitifs. Il s’agit donc d’un point de réflexion constant au sein de la société: trouver cet équilibre entre la participation active de nos membres et la gestion d’entreprise efficace. »
« L’économie serait sans doute plus saine si l’on permettait aux travailleurs de s’exprimer et se responsabiliser. »
Coopérative de travailleurs, la société a fait des petits et a vu ses effectifs augmenter au cours des ans. Selon Sylvain Cathebras, on peut voir là une preuve qu’il est possible d’allier structure coopérative horizontale et rendement économique. « Lorsque je suis arrivé, il y a vingt-cinq ans en tant que commercial, nous étions une douzaine, ajoute le professionnel. Aujourd’hui, l’entreprise compte 130 personnes au total, en comptant les filières et 80 personnes au sein de la coopérative. La croissance a été réelle, bien que lente, si on la compare à celle d’autres entreprises. Chez Alma, la croissance n’a jamais été une fin en soi. L’idée de grandir pour grandir ne correspond pas à nos valeurs, mais nous considérons plutôt cette évolution comme un outil. Je crois que l’expérience d’Alma montre qu’on peut respecter le facteur humain et être bénéficiaire».
D’ailleurs, l’entreprise n’a jamais accordé à ses dirigeants et ses cadres d’avantages particuliers et se positionne contre l’idée de privilèges. La rémunération tente aussi d’amoindrir au maximum l’écart entre dirigeants et salariés. Les responsables sont rémunérés selon leur rang, mais ils ne bénéficient pas de bonis, comme des voitures de fonctions. L’échelle des salaires est flexible, misant plutôt sur la capacité des membres à piloter des projets, plutôt que le poste que ceux-ci occupent.
Tous en Scopettes!
Dans cette optique, l’entreprise a souhaité favoriser au maximum l’esprit d’initiative de ses membres salariés. Depuis une vingtaine d’années, Alma est organisée selon une structure en équipes, appelées Scopettes. Un peu comme de petites entreprises au sein de l’entreprise, celles-ci encouragent les travailleurs membres à soumettre leurs idées et à échanger d’égal à égal.
« Il s’agit d’un modèle qu’on pourrait qualifier de fédéral, explique Sylvain Cathebras, joint par téléphone. Chaque Scopette bénéficie de sa propre structure collaborative et les membres de ces unités peuvent décider collectivement de ses orientations et des solutions pour avancer. Encore dans le but de garder le plus de pouvoir auprès des coopérateurs. Par exemple, cela permet aux Scopettes de limoger un responsable d’équipe si le courant ne passe pas. Nous pensons qu’on ne peut pas imposer un supérieur avec qui ça ne fonctionne pas.»
C’est le concept des Scopettes, entre autres, qui permet à Alma de se distinguer dans l’horizon coopératif en France. Derrière l’idée de ces cellules indépendantes, on retrouve une autre des grandes valeurs d’Alma, la proximité. « Nous croyons que les Scopettes permettent aux membres d’être plus près des clients. Elles encouragent la prise de responsabilité ! »
Avec son idéal de convivialité, de proximité et d’initiative, Alma a pu devenir un joueur fort du secteur informatique en France. La collectivité est mise en avant et assure à la coopérative une productivité accrue. « La coopérative est certainement un modèle d’avenir, conclut Sylvain Cathebras. L’économie serait sans doute plus saine si l’on permettait aux travailleurs de s’exprimer et se responsabiliser ».