La reprise d’entreprise par les employés
Louis-David Malo
Saviez-vous que, selon une étude du ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation (MDEIE), d’ici 2018, 55 000 entrepreneurs prendront leur retraite, tandis que la Belle Province en verra l’éclosion de 30 000 nouveaux? Le Québec sera ainsi prochainement confronté à un défi cit de 25 000 entrepreneurs. Une des solutions envisagées pour combler ce vide consiste à encourager la relève d’entreprise par les employés.
La reprise d’une entreprise par les employés comporte plusieurs avantages. « Il est plus facile d’assurer un emploi aux travailleurs quand ce sont eux les propriétaires, en comparaison à une entreprise externe qui, pour sa part, pourrait avoir pour objectifs de la fermer et d’écarter un concurrent, ou de fusionner et d’éliminer les postes en doublon », explique Louise Cadieux, professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et chercheure à l’Institut national de recherche sur les PME (INRPME).
Il est également plus probable que les employés se dotent de conditions qui répondent à leurs aspirations sur le plan de la qualité de vie au travail, pourvu que ce soit réaliste. « En tant que propriétaires et employés, les travailleurs sont davantage motivés à ce que leur entreprise connaisse du succès. Ils savent qu’une partie des profits de l’entreprise est susceptible de leur revenir », note-t-elle.
Des stratégies incluant les coopératives
Prenons le cas d’un entrepreneur qui souhaite céder son entreprise à ses employés. Les coopératives de travail et de solidarité constituent des formules de premier plan pour ces occasions d’affaires. Dans le cas des coopératives de travail, les employés deviennent les seuls propriétaires de l’entreprise.
Quant aux coopératives de solidarité, le membership peut inclure d’autres entreprises, et même des travailleurs autonomes. Par exemple, un centre de massothérapie qui compte des employés et des travailleurs autonomes (thérapeutes) peut regrouper ces personnes au sein de la même entreprise. Les travailleurs autonomes peuvent y voir un avantage, car ils deviennent collectivement propriétaires d’une entreprise tout en bénéficiant de leur statut de travailleur autonome.
Dans le cas où l’entrepreneur souhaite céder à sa succession ou vendre à une entreprise externe tout en impliquant les employés, les coopératives de travailleurs actionnaires constituent une formule idéale. Elles permettent l’investissement dans l’entreprise par les employés, qui ont donc la chance de participer à la redistribution de la richesse. Les autres repreneurs peuvent être des membres de la famille, une entreprise externe, et même quelques employés, comme dans le cas de rachat par les gestionnaires, ou rachat par la direction. Dans tous les cas, les employés deviennent un atout majeur dans l’investissement et dans la continuité des opérations de l’entreprise.
Un processus adapté aux besoins des repreneurs et du cédant
Louise Cadieux propose un processus de transmission-reprise souple. Il s’appuie sur plusieurs années de recherche sur les meilleures pratiques de transmission-relève au Canada et en Europe. Elle le découpe en deux processus distincts. On y retrouve plusieurs phases qui s’adaptent aux besoins des repreneurs et du cédant. En effet, le processus de transmission-reprise se superpose aux opérations quotidiennes de l’entreprise. S’il est perçu comme trop compliqué ou trop rigide, les risques de dérapages augmentent.
L’un des processus concerne le transfert des actions et des actifs aux repreneurs. « Pour mener à terme leur projet, les repreneurs doivent d’abord élaborer un plan d’affaires. Combien l’acquisition coûtera-t-elle? Comment sera-t-elle financée? En combien d’étapes? Qui fera partie de l’équipe de direction? Quels seront les équipements à remplacer? Les repreneurs doivent rencontrer différents experts qui les éclaireront dans leur prise de décision sur le modèle d’affaires de la reprise et sur la poursuite des activités de l’entreprise », explique madame Cadieux.
Stratégiquement, le cédant ne devrait pas se départir de toutes ses actions avant la fi n du processus. En cas de pépin, il peut reprendre les rênes du pouvoir et redresser la situation avant qu’elle ne tourne à la catastrophe.
L’autre processus concerne le transfert de la direction ou de la gestion de l’entreprise. Le cédant doit planifier son retrait de l’entreprise, mais également sa retraite. « On oublie rapidement que le cédant est souvent le fondateur. Ce n’est pas toujours facile pour lui de se détacher de son entreprise et de ne plus y travailler. Son retrait progressif doit être planifié avec soin, et il doit réfléchir à ce qu’il veut faire par la suite », poursuit madame Cadieux.
Le propriétaire doit ensuite s’entendre avec les repreneurs sur le transfert graduel de la direction d’entreprise. « Au début, il est pensable que les repreneurs soient observateurs de la prise de décision. Progressivement, il faudra que le cédant les implique pour qu’en fin de compte, il se retire complètement et agisse comme conseiller spécial, et que les repreneurs soient les vrais dirigeants de l’entreprise qu’ils ont acquise », continue-t-elle.
« Il est important que le cédant et les repreneurs soient sensibilisés dès le début aux différentes formules juridiques, dont celle de la coopérative, car ce choix influence le déroulement du reste du processus », conclut madame Cadieux.