Claude BĂ©land
L’Organisation des Nations Unies (ONU), en cohérence avec sa vision d’un monde nouveau, exprimée dans la fameuse Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, n’a pas hésité à adopter, en 2009, alors que le monde souffrait des effets de la profonde crise financière de l’année précédente, une résolution proclamant 2012 « Année internationale des coopératives ».
Pourquoi? Parce que, dit la résolution, « les coopératives, sous leurs différentes formes, aident toute la population à participer aussi pleinement que possible au développement économique et social dont elles sont en train de devenir un facteur très important ». Elle fait ainsi appel à l’attention des États membres sur les nouvelles mesures recommandées par le Secrétaire général dans son rapport pour promouvoir l’essor des coopératives en tant qu’entreprises commerciales et sociales capables de contribuer au développement durable, à l’élimination de la pauvreté et à la création de moyens de subsistance dans divers secteurs économiques, tant en milieu rural qu’urbain.
Cette proclamation de l’importance des coopératives par l’ONU est fort importante puisqu’elle reconnaît l’efficacité sociale et économique d’un système fondé sur des valeurs de liberté – une liberté qui ne nuit pas à celle des autres –, d’égalité des droits et des chances, et d’une solidarité à l’égard du projet d’une société juste, où tous peuvent vivre dignement.
Ce faisant, l’ONU contredit les promoteurs d’une pensée unique universelle qui proclament le triomphe du néolibéralisme. Elle annonce plutôt une vision d’une économie plurielle dans laquelle les coopératives jouent un rôle efficace et nécessaire, et lance ainsi un appel à la création et au développement des coopératives dans le monde. Un appel à une gouvernance mondiale solidaire et responsable en s’inspirant des valeurs du coopératisme. Une occasion unique pour les coopératives de démontrer que les coopérateurs ne sont pas uniquement des consommateurs ou des travailleurs, mais qu’ils sont des agents de changement et des bâtisseurs de communautés civiques justes et équitables.
Les coopérateurs profitent de cette année 2012 pour souligner l’événement entre eux – ce qui est excellent et utile puisque les valeurs civilisatrices de la coopération sont l’œuvre de la pensée et de la capacité de raisonnement de l’animal raisonnable qu’est l’être humain. Soumise aux instincts de cette animalité, une telle pensée est souvent menacée ou ébranlée. De là l’importance de constants ressourcements. Mais, par sa résolution, l’ONU n’insiste pas sur le ressourcement des coopérateurs, elle le tient pour acquis. Elle insiste surtout sur la contribution des coopératives à la création d’un monde meilleur.
Dominant par la force de leurs capitaux, les grands acteurs du système nĂ©olibĂ©ral actuel sont demeurĂ©s indiffĂ©rents et insensibles Ă l’invitation de l’ONU. Les grands mĂ©dias n’y ont guère fait Ă©cho. Pour leur part, les gouvernements, pourtant interpellĂ©s, n’ont pas, Ă ce jour, rĂ©pondu Ă l’appel de l’ONU qui, dans sa rĂ©solution, « encourage les gouvernements Ă prendre les mesures nĂ©cessaires pour crĂ©er un environnement favorable aux coopĂ©ratives, notamment en favorisant et en appliquant une meilleure lĂ©gislation, ainsi qu’en encourageant et en menant des actions de recherche, des mutualisations de bonnes pratiques […] ».
Pour qu’il y ait une suite à cette année 2012, le mouvement coopératif aurait donc avantage à agir sur trois plans :
Les communications
Les coopératives doivent prendre leur place dans le débat public sur ce monde à changer. L’opinion des chambres de commerce est certes intéressante, mais incomplète. C’est pourquoi celle des coopératives l’est davantage, surtout si tous les partenaires de l’économie sociale tiennent le même langage et affichent la même certitude qu’elles ne sont pas des acteurs d’une « économie de pauvres » ou une « économie incubatrice » menant vers la « vraie économie », mais elles sont les acteurs d’une économie dont les objectifs, comme ceux de l’ONU, sont la création de collectivités qui apportent dignité et justice à tous et dont le monde d’aujourd’hui a grandement besoin.
Le mouvement coopératif aurait avantage à combattre plus ouvertement cette perverse pensée unique qui fait croire que le succès se mesure en « avoir » et non pas en rapport à « l’être ». Avantage aussi à sortir de sa gêne à proclamer lui-même les différences fondamentales du coopératisme. Il n’y a pas de honte à ne pas faire des affaires « comme tout le monde ». Il n’y a pas de honte à établir des entreprises dont l’objectif n’est pas l’enrichissement d’une minorité, mais le mieux-être de tous les membres. Autant de valeurs qui sont des éléments de la contribution réelle du coopératisme.
La législation et la règlementation
Il importe que l’orthodoxie des caractéristiques exclusives des coopératives soit reconnue : le statut de propriétaire-usager, le contrôle démocratique par des individus, le partage des surplus d’opérations, non pas en proportion du capital investi, mais en proportion des opérations faites par le membre, des réserves impartageables entre les membres et l’inaliénabilité de l’entreprise sont des caractéristiques exclusives non négociables qui, à mon avis, ne doivent souffrir aucun compromis. Autrement dit, il ne faut pas oublier la nécessité de repenser le progrès dans une perspective humaniste, c’est-à -dire dans une perspective de réussite du groupe ou de la collectivité et non pas dans une perspective de réussite et d’enrichissement individuels sans limite.
L’intercoopération
Les regroupements des coopératives sont nombreux, sous différentes formes, parfois en concurrence, alors que le message, sur le plan local, est « l’union fait la force ». Or, si vraiment le milieu coopératif désire changer le monde, il doit unir les forces sur le plan du réseau, c’est-à -dire penser globalement et agir localement.
Les réseaux coopératifs sont la construction d’autant de cellules démocratiques sur un même territoire. Ces cellules seront formées de démocrates, de gens solidaires dans la poursuite du projet de contribuer au mieux-être de tous. Des cellules où se pratiqueront les valeurs démocratiques d’égalité et de solidarité. Une société plus juste et équitable où tous pourront vivre dignement.
Ainsi, il importe de faire savoir qu’une autre avenue existe et qu’un meilleur monde est possible.
CrĂ©dit photo mise Ă l’avant : sanjitbakshi sur Flickr