< Retour à la liste des articles 15 octobre 2013

Des citoyens aux grandes ambitions pour leur collectivité

Can Batllò au cœur de Barcelone

Patrick Duguay

Dans la province espagnole de Catalogne, Barcelone est une ville qui présente un tissu coopératif et associatif très fort. La majorité des 4500 coopératives catalanes s’y concentrent et les mouvements sociaux y sont très actifs. Au cœur de la ville, le quartier de Sants s’illustre par une longue tradition de coopératisme ouvrier. Alors que la crise frappe fort dans cette région du monde, les entreprises d’économie sociale font la preuve de leur capacité à résister et connaissent même une croissance.

Can Batllò est un site industriel situé au cœur de la zone urbaine résidentielle et commerciale de Sants. Comme pour plusieurs sites du même genre à travers le monde, l’expansion démographique a créé des fractures dans le tissu urbain. La zone de Can Batllò est constituée de plusieurs bâtiments à l’origine occupés par l’industrie textile. Zone ouvrière à l’origine, la décroissance du secteur textile laisse des milliers de mètres carrés à l’abandon pendant des décennies. Si quelques petites entreprises s’installèrent dans les édifices de Can Batllò, le site reste sous-utilisé, en proie à la dégradation, et faisant l’objet de la spéculation immobilière. Cependant, la crise économique qui s’abat sur le monde, mais en particulier sur le sud de l’Europe, rend difficile l’obtention des capitaux privés voués à promouvoir l’installation de logements de luxe sur le site.

Un groupe de citoyens engagés dans Sants s’attaque au site de Can Batllò afin de promouvoir un développement urbain qui laisse une place importante à la prise en charge collective des problématiques liées à la pauvreté et l’exclusion. Can Batllò devient un symbole de la mobilisation des habitants qui reprennent le pouvoir sur leur milieu de vie.

Espai veïnal autogestionat

Le bloc onze est le premier espace récupéré par les citoyens. Il est baptisé ainsi en mémoire du 11 juin 2011, jour où les citoyens sont entrés dans Can Batllò pour prendre possession des lieux, tels qu’ils l’avaient annoncé aux autorités municipales deux ans auparavant – mettant fin à plus de 35 ans de tergiversations autour du redéveloppement du site. Ce moment marque la récupération de l’espace par les citoyens. L’ouverture d’une partie de la muraille qui bloquait le site à la fréquentation des résidents est également une démonstration significative du renouveau de Can Batllò. L’installation d’un premier jardin communautaire vient poursuivre la réappropriation des lieux. Regroupés en assemblée autogestionnaire, les citoyens travaillent à planifier et concevoir l’utilisation des espaces en fonction des besoins et des aspirations des gens du quartier.

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est can-batllo.png.Le Bloc 11 demande des centaines d’heures de nettoyage et de constructions. Porté par plus de 300 volontaires répartis en 14 comités et groupes de travail. Le Bloc 11 revit d’abord autour d’un café autogéré qui constitue un lieu de rencontre pour les résidents du milieu. Il est aussi l’espace dans lequel se tiennent les assemblées hebdomadaires visant à débattre sur l’utilisation des lieux, le suivi des projets en cours et leur financement. À ce jour, les acteurs de Can Batllò ont réussi à équiper une bibliothèque avec 15 000 livres, des ordinateurs publics et des espaces de travail et d’étude. Un espace de diusion de spectacles et un auditorium viennent compléter le premier étage de l’édifice de 3000 mètres carrés.

Les travaux sont actuellement en cours pour construire des salles de formation, un centre de production multimédia ainsi qu’un mur d’escalade intérieure pour répondre aux besoins des gens du quartier. Un atelier de travail du bois et un autre pour le travail du métal viennent compléter les infrastructures. Des artisans ont accepté d’y installer leur équipement en orant soutien et formation aux bénévoles qui travaillent à réorganiser les espaces.

Parallèlement à ce travail, les acteurs de Can Batllò mènent une réflexion importante sur l’organisation d’un espace d’économie sociale qui offrira des ateliers à divers projets d’entreprises collectives, nouvelles et existantes. Le déploiement de cet espace vise à susciter la création d’emplois et d’activités économiques au cœur du projet de Can Batllò. Dans la mise en place du projet, l’équipe peut compter sur l’appui de groupes coopératifs du quartier tels La ciutat invisible, la Fédération des coopératives de travail de la catalogne, A+4 et de nombreux autres.

La patience et la constance sont des qualités essentielles à la mise en œuvre de tels projets. Dans le cas de Can Batllò, s’il aura fallu 35 ans de revendication et de propositions pour pouvoir entreprendre le redéveloppement du complexe; il aura surtout fallu que les citoyens prennent l’initiative en main. L’énergie nécessaire à la mise sur pied des nombreux projets portés par les citoyens est considérable. Le travail entrepris mise sur de nouveaux rapports de collaboration entre l’administration municipale et les citoyens mais aussi sur l’a«rmation forte de la volonté collective.

La reconversion du site de Can Batllò en est toujours à ses débuts. Cependant, l’avenir s’annonce prometteur pour cette opération ambitieuse. La forte mobilisation des citoyens est un gage de succès indéniable. La politisation du débat autour de cette initiative de la récupération du site est venue modifier les rapports entre les citoyens et l’administration publique. Les prochaines étapes s’appuient sur ce rapport de force qui s’est construit au fil des années mais qui est renforcé avec la démonstration concrète que les citoyens ont la capacité de se mobiliser pour faire de Can Batllò un succès tangible.

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