Coopérative Hôtel Bauen à Buenos Aires
Alexandre Couture
En plein cœur de la métropole sud-américaine, l’hôtel Bauen est ancré dans l’histoire de Buenos Aires depuis près de 40 ans. L’établissement a survécu à la crise financière de 2001 grâce à la détermination de ses employés qui ont formé une coopérative de travailleurs au moment où les propriétaires voulaient mettre la clé sous la porte.
Une histoire inspirante où la formule coopérative a sauvé plusieurs familles.
Jadis, l’Argentine était le fer de lance de l’économie sud-américaine avec son modèle économique florissant et sa couverture sociale exemplaire. Malgré les politiques néolibérales menées par le président Carlos Menem dans les années 1990 pour contrer l’inflation, le pays de Che Guevara a alors sombré dans une profonde récession.
C’est dans ce contexte que l’hôtel Bauen, une institution à Buenos Aires, a été abandonné par ses propriétaires qui ne pouvaient acquitter le prêt de 37 millions de dollars, octroyé quelques décennies plus tôt par le régime dictatorial. Construit en 1978, l’établissement de luxe avait été financé par le gouvernement pour accueillir la Coupe du monde de soccer.
Laissés à eux-mêmes, les employés ont décidé de prendre les choses en main. Une trentaine d’entre eux ont créé une coopérative pour faire revivre l’hôtel, quinze mois après la fermeture officielle. «Les travailleurs avaient des familles à nourrir, c’était une question de survie, s’exclame un des porte-paroles, Diego Ruarte. C’est plus tard que nous avons compris que s’autogérer est la seule manière d’éviter qu’une situation comme celle-là se reproduise».
À ce moment, une décision judiciaire avait accordé un droit de propriété provisoire aux membres de la coopérative. En onze ans, ils ont investi près de 16 millions de pesos et beaucoup d’énergie pour conserver le luxe un peu kitsch du lieu, opérant sous la menace constante de l’expulsion. Les 200 chambres accueillent des touristes solidaires,1 ainsi que des représentants d’organisations syndicales ou culturelles.
«Depuis 2005, nous avons réussi à capitaliser, explique le fils du fondateur de la coopérative. L’hôtel est redevenu rentable et l’état de nos finances se porte bien ». Aujourd’hui, la coopérative Bauen compte 153 associés, tous au salaire minimum.
Ce salaire égal pour tous les employés est représentatif des valeurs coopératives mises à l’avant par l’hôtel. « Nous sommes une équipe, il n’y a pas de fossé démesuré entre la réceptionniste et le gérant comme dans les autres hôtels, ajoute M.Ruarte. Conséquemment, chacun peut s’exprimer sans retenue lors des assemblées hebdomadaires ».
Inspiré par l’histoire de ses travailleurs, un mouvement national d’entraide a vu le jour et les membres de l’hôtel Bauen font maintenant partie d’un large regroupement de 300 coopératives à travers l’Argentine.
L’esprit coopératif est aussi présent entre les employés qui vivent en communauté avec leurs conjoints et enfants. « Nous sommes avant tout une grande famille avec des membres qui veillent les uns après les autres », poursuit-il.
Inspiré par l’histoire de ses travailleurs, un mouvement national d’entraide a vu le jour et les membres de l’hôtel Bauen font maintenant partie d’un large regroupement de 300 coopératives à travers l’Argentine. Après le fiasco économique de la crise des années 2000, force est d’admettre que le modèle coopératif a le vent dans les voiles en sol argentin.
Après le calme vient la tempête
Alors que tout semblait au beau fixe, un tribunal de Buenos Aires a récemment donné raison au propriétaire d’origine et a exhorté les travailleurs à partir sous menace d’expulsion. Après sept ans de bataille judiciaire, ce fut un dur coup pour la coopérative.
«Avant de vous parler de cela, je dois vous dire que le propriétaire s’est vendu l’hôtel à lui-même trois fois en utilisant des prête-noms, allègue un membre fondateur de la coopérative, Diego Bandera. Il a utilisé différents stratagèmes pour garder le contrôle et affaiblir la coopérative».
Mais qu’est-ce qui explique cette la décision du juge? «Comme je disais, le propriétaire à l’origine est toujours officiellement le tenant des lieux, malgré ses déboires financiers». Ainsi selon la loi, il a le droit de gérer son établissement comme bon lui semble.
Depuis un an, la relation entre les travailleurs et ceux qui demandent leur expulsion est à couteaux tirés. Les deux partis campent sur leurs positions et utilisent les différents médias nationaux pour prouver leur point.
Le groupe Mercoteles, propriétaire des lieux, a affirmé aux journalistes vouloir investir plusieurs millions de dollars pour moderniser l’endroit tout en gardant les employés. Questionné à ce sujet, Diego Bandera s’emporte légèrement. «Ça, c’est un mensonge ! En 2008, le gouvernement a donné la possibilité au propriétaire de payer sa dette réduite à 50%, il ne l’a jamais payé, s’insurge-t-il. De notre côté, nous avons investi plus de 8 millions de dollars, ce qui équivaut au prêt initial». L’Argentin de 43 ans est persuadé que le Groupe Mercoteles est une société fantôme.2
Bien décidés à défendre le modèle coopératif
Dans le hall transformé en cellule de crise, des orchestres de percussions, des troupes de théâtre ou des groupes de rock se succèdent pour exprimer leur soutien. Les clients signent une pétition en même temps qu’ils font leur enregistrement.
Les membres de la coopérative s’affairent à convaincre les juges de faire passer une loi qui pourrait exproprier le propriétaire. Ainsi, la coopérative pourrait rester en place. « C’est une bataille quotidienne que nous devons mener pour notre survie, mais surtout pour notre liberté», argue M. Bandera.
C’est une bataille quotidienne que nous devons mener pour notre survie, mais surtout pour notre liberté
Ce concept de liberté est central dans les discussions de la coopérative. « Quand je raconterai l’histoire à mes petits-enfants, je veux pouvoir leur expliquer que des petits travailleurs ont réussi à battre les riches propriétaires, raconte-t-il, visiblement émotif. J’espère seulement que notre histoire ne sera pas coupée court avant la fin ».
1. Les touristes solidaires s’inscrivent dans le courant de plus en plus populaire à travers le monde, le voyage éco-responsable
2. Société fantôme ou société-écran : Société à l’activité fictive créée pour masquer ces opérations financières d’une ou plusieurs autres sociétés.