< Retour à la liste des articles 15 octobre 2017

Les femmes sont les principales actrices du développement

Jack Duhaime

Anne Gaboury a d’abord étudié la psychologie à l’université. Celle qui dirige depuis 15 ans Développement international Desjardins (DiD) affirme encore aujourd’hui y trouver «un cadre quotidien d’analyse, celui des sciences sociales. On ne peut pas postuler qu’un modèle X de coopération financière fonctionnera dans un autre pays parce qu’il fonctionne ici. Dans les sciences sociales, tout est relatif», dit-elle.

 

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Anne Gaboury

Dans le domaine bien précis du rôle des femmes pour le développement, pas de place pour la relativité du doute. «Les ressources allouées aux femmes vont avoir un impact multiplicateur», commente Mme Gaboury, en référence à la Politique canadienne d’aide internationale féministe lancée cette année.

Dans l’entrevue qui suit, Anne Gaboury parle du rôle des femmes dans le développement, mais aussi de microcrédit, de gouvernance et des prochains défis lancés au monde coopératif.

Coopoint: Derrière la nouvelle politique d’aide internationale féministe du Canada, il y a l’idée qu’aider la femme est le meilleur moyen de développer la société.

Qu’est-ce que vous en pensez?

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est femmes.png.Anne Gaboury : Les ressources allouées aux femmes vont avoir un impact multiplicateur, parce que les femmes se préoccupent du bien-être et de l’éducation de leur famille. Elles vont réinvestir dans leur foyer. C’est une donnée de base bien connue dans le milieu du développement. Il faut travailler à réduire les barrières aux services financiers, puisque les femmes ont souvent moins de garanties à donner. Il faut inventer de nouvelles méthodologies et de nouvelles façons de faire, comme la caution solidaire.

L’enjeu, c’est d’institutionnaliser ces questions-là pour que l’équité devienne une préoccupation de l’institution financière. (Chez DiD), nous avons toujours surveillé trois éléments: le pourcentage de femmes membres, le pourcentage des ressources de crédit allouées aux femmes, et la représentation des femmes à la fois chez les employés et au conseil d’administration. Chez nos partenaires, dans une trentaine de pays dans le monde, les résultats ne sont pas si mal. Les memberships féminins tournent autour de 40%, sur les conseils d’administration, elles sont autour de 30%. Quand on compare ces résultats avec nos chiffres à nous ( au Québec), ils apparaissent fort intéressants. Les employées surpassent les 50%, mais ça, c’est un classique des institutions financières où les femmes sont très présentes (dans le personnel).

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est femme-ecole.png.Et on sait comment faire bouger ces indicateurs-là, notamment pour accroître la présence de femmes au sein des conseils d’administration. C’est quelque chose qui se prépare de longue date, à la fois dans l’institution, pour qu’il y ait une ouverture à des candidatures de femmes, mais à l’extérieur, où il faut préparer les leaders féminins des communautés et les convaincre de se présenter aux élections.

La nouvelle politique canadienne d’aide internationale féministe

Après avoir consacré une année à consulter 15 000 personnes dans 65 pays, le gouvernement Trudeau a présenté cette année sa nouvelle Politique d’aide internationale féministe. Celle-ci vise à « promouvoir l’égalité des sexes et contribuer au renforcement du pouvoir des femmes et des filles », indique Marie- Claude Bibeau, ministre du Développement international et de la Francophonie. « Pour le Canada, cette approche est la plus efficace pour réduire la pauvreté et bâtir un monde plus inclusif, plus pacifique et plus prospère».

La très influente ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, avait préparé le terrain en annonçant à la presse que la nouvelle politique féministe «mettra l’accent sur les droits des femmes et des filles, ainsi que sur l’égalité entre les sexes. Nous placerons le Canada à l’avant-plan des efforts mondiaux dans ce domaine. C’est une question de justice de base et aussi d’économie de base. Nous savons qu’en favorisant le renforcement socioéconomique des femmes, autant ici qu’à l’étranger, les familles et les
pays deviennent plus prospères. »

«Nous savons», dit la ministre Freeland, laissant entendre qu’il y a unanimité à reconnaître qu’aider la femme est le meilleur moyen de développer la famille, le quartier, le village, le pays et la terre entière. Et
elle a parfaitement raison, soutient Anne Gaboury dans son entrevue avec Coopoint.

                                                                                                                  

Coopoint: Jouons à l’avocat du diable pour vous provoquer un peu. Un homme va réinvestir ses profits dans son entreprise, alors qu’une femme va d’abord penser à l’éducation, puis à la santé, et finalement à l’entreprise. On peut s’attendre, comme institution financière, à ce qu’un homme ait plus de succès qu’une femme dans les affaires…

Anne Gaboury : Les femmes vont utiliser les ressources au bénéfice de leur environnement, c’est vrai. Mais l’entrepreneuriat, c’est autre chose ! Souvent, on va retrouver les femmes entrepreneurs dans de plus petites entreprises. Dans l’accès au crédit, il va y avoir un décalage en termes de proportions, mais les femmes ont autant d’aptitudes en entrepreneuriat que les hommes. Cependant, les femmes exploitent des filières commerciales différentes. Elles sont très présentes dans le commerce, alors que les hommes sont plus axés vers la production de biens et services.

Il faut que l’institution financière orchestre la progression des services financiers, de façon à donner aux femmes la chance d’émerger et d’avoir accès à d’autres types de services financiers. On a vu des femmes progresser à partir d’activités très très simples, et parvenir à développer progressivement des entreprises d’envergure. Le réinvestissement est un enjeu pour tous les entrepreneurs, mais spécialement pour les femmes.

Les femmes vont pendant plus longtemps réinvestir les revenus de l’entreprise dans la subsistance de leur famille et l’éducation des enfants avant de réinvestir dans l’entreprise. C’est ce qui va affecter l’envergure de l’entreprise. Il faut que les services financiers soient adaptés à cette réalité, pour que les femmes puissent progresser dans leur accès à des services spécialisés.

Le microcrédit engage des taux d’intérêt supérieurs à 25% dans les pays en voie de développement. C’est difficile pour les femmes d’assumer ça.

Pour nous, le microcrédit, c’est une méthode. Le vrai enjeu, c’est l’inclusion financière. Faire en sorte que les plus pauvres aient accès à des services financiers demain et après-demain. La construction d’un système financier inclusif est beaucoup plus large que le microcrédit. Nous, au Canada, ça fait des années que nos taux d’intérêt tournent autour de 2 ou 3%. 25%, ça nous semble énorme. Mais ce peut être un taux normal dans un environnement où il y a très peu de support pour contrôler les risques, une inflation énorme, des coûts de distribution énormes et il faut que le marché régularise ça.

On peut trouver des situations terribles. Mais un système financier inclusif va faire attention de ne pas surendetter les gens. Il va baser son approche sur des analyses économiques fines et pertinentes, qui permettent d’évaluer si le projet de la personne est valable. Il ne faut pas que le taux d’accès au système financier soit plus coûteux que ce que rapporte l’activité économique. Ce n’est bon pour personne.

La caution solidaire, surtout pour les femmes, a une approche de crédit incrémentiel. Comme les femmes se cautionnent entre elles, elles ont accès à un premier crédit minimaliste de quelques dollars. Tranquillement, la confiance se construit et on va augmenter le crédit. Mais à un moment donné, le système ne tient plus. Quand le crédit devient plus important, les femmes ne sont plus capables de se cautionner solidairement. Quelques femmes vont émerger de ces groupes et auront besoin d’un crédit individuel, qui devra être basé sur une analyse de la viabilité économique du projet.

L’attribut alt de cette image est vide, son nom de fichier est femmes-indigenes.png.C’est ça, la gradation du service financier. Le micro-crédit est souvent le premier contact que la femme va avoir avec l’institution financière formelle. Elle comprendra c’est quoi un crédit et comment le rembourser. Des gens vont toujours se sentir bien dans le système du microcrédit. D’autres personnes vont émerger.

Parlons un peu de gouvernance. Selon vous, c’est ce qui distingue une coopérative financière d’une banque.

Il y a de gros enjeux de gouvernance pour les institutions ouvertes sur leur communauté. C’est beaucoup plus difficile de développer une gouvernance solide dans une institution très ouverte et qui doit construire, et même parfois reconstruire assez régulièrement ses conseils d’administration. Les réseaux doivent continuer à investir dans le développement de leur gouvernance, tout comme les grands réseaux coopératifs des pays développés. Ils ont une compétition beaucoup plus forte que celle qu’ont connue les grands réseaux coopératifs des pays développés dans leurs 50 ou 60 premières années d’émergence. Nos réseaux ont eu le temps de se déployer et de développer leur offre de services avant d’être si fortement confrontés à la compétition.

En terminant, quels sont les principaux défis du mouvement coopératif?

Les trois sommets (internationaux des coopératives) ont mis l’emphase sur les enjeux extrêmement critiques pour l’évolution du modèle coopératif : innovation, agilité et recours au capital. Le modèle coopératif, plus que jamais, est pertinent dans une époque économique où on parle de valeurs partagées et où les inégalités sont en croissance. Le modèle coopératif, d’entrée de jeu, inclut un partage de la richesse. Mais il doit évoluer pour s’adapter. Les coopératives ne sont pas désincarnées de leurs industries. Elles subissent de plus en plus de pression du cadre législatif.

Publié le 15 octobre 2017

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