La Tierra Coop
Claudine Lalonde
L’histoire du café La Tierra Coop commence… en Bolivie. Josée Lortie, membre fondatrice de la coopérative, participe alors à un projet d’Oxfam. Elle y découvre l’ampleur des iniquités nord-sud. « Aller à l’étranger te fait réaliser que quelque chose ne fonctionne pas. Je trouvais que les producteurs travaillaient très fort, et qu’ils en profitaient peu. Mon conjoint et moi voulions faire quelque chose pour aider la Bolivie, mais sans envoyer de l’argent. » De retour au pays, en plus d’occuper leur emploi respectif, le couple démarre une microentreprise de torréfaction dans le sous-sol de la maison familiale, à Aylmer. L’objectif principal est de faire découvrir le café bolivien.
Désireuse d’amorcer une réorientation, madame Lortie souhaite donner une plus grande envergure à l’entreprise. C’est dans un cours de démarrage d’entreprise, pendant lequel elle rédige son plan d’affaires, qu’elle rencontre les autres membres de la coopérative. Un projet similaire se développait dans un autre groupe. L’équipe s’entend rapidement sur le choix de la formule coopérative : l’idée d’être propriétaires à parts égales et de partager le pouvoir équitablement entre les membres les séduit. À sa création, l’entreprise prend la forme d’une coopérative de travailleurs et regroupe quatre membres. En 2011, on fait le virage vers la coopérative de solidarité. Depuis, sept travailleurs partagent la propriété de la coopérative avec une vingtaine de membres de soutien, qui croient fermement que La Tierra fait plus que vendre du café de grande qualité.
Dans ce tout petit café, qui pourrait bientôt s’établir dans un local plus grand du quartier, on ne sert que des thés et des cafés équitables. L’équipe cuisine aussi des gâteaux maison et offre un assortiment de soupes et de sandwiches faits avec des charcuteries et des fromages locaux. Finie l’époque où l’on n’off rait que des grains boliviens; une quinzaine de cafés, originaires d’autant de pays, sont maintenant offerts. Les cafés de spécialité sont composés de grains exceptionnels, sans défauts et offrent des saveurs caractéristiques de chacune des régions. La torréfaction fait ressortir ces arômes et ces saveurs ainsi que les spécificités de chaque variété. Chaque semaine, une petite quantité de chaque café est microtorréfiée, ce qui permet un meilleur contrôle et une meilleure précision pour laisser les grains exalter leurs saveurs.
Au cœur de l’Île…
C’est dans l’Île-de-Hull, ou Vieux-Hull, que La Tierra a choisi de s’installer. Ce quartier constitue le centre-ville de Gatineau. Fréquenté le jour par les milliers de fonctionnaires qui viennent y travailler, c’est aussi un quartier dévitalisé et appauvri, reconnu pour sa vie nocturne animée. Heureusement, la mauvaise réputation du Vieux-Hull change tout doucement, à mesure que s’établissent les jeunes familles et les nouveaux commerces. La Tierra y est installée depuis 2006, et figure parmi les premiers commerces à participer à cette revitalisation. Quand on aborde cet aspect, Josée Lortie s’allume : « On y croit, au centre- ville. Et c’est beaucoup plus agréable de travailler dans un contexte où il y a une mixité et une diversité de la clientèle. »
Le café contribue bien sûr à animer son quartier et participe aussi au mieux-être de sa communauté. Par exemple, la coopérative offre ses produits à des groupes qui organisent des collectes de fonds pour des voyages humanitaires, par exemple. « Nous sommes présents et actifs dans le quartier, mais aussi dans la communauté. Nous travaillons aussi de près avec les autres coopératives. Cet engagement est naturel pour nous. Ça fait partie de nos valeurs et c’est inclus dans notre mission de participer à faire changer les choses », explique madame Lortie. Diff érents produits coopératifs sont en effet offerts sur place, notamment les albums du Studio Coopératif Premières Lignes et les sacs et cadeaux de Mille et une façons. La Tierra a même créé un café spécial pour la clientèle de l’Auberge de jeunesse Petite-Nation. C’est aussi un membre engagé du Marché de solidarité régionale de l’Outaouais.
Soutenir la relève
Au fil du temps, il devient nécessaire d’embaucher de nouveaux travailleurs, pour permettre de maximiser les heures d’ouverture du café, sans pour autant épuiser l’équipe. Grâce à une subvention du Fonds étudiant solidarité travail Québec I, la coopérative peut embaucher Gabrielle, une finissante au secondaire, qui pourra donner un coup de main à l’équipe pendant l’été. Gabrielle découvre plus qu’un milieu de travail : elle s’intéresse au commerce équitable, s’initie à la coopération et finit par devenir membre de la coopérative. L’année suivante, c’est Clara qui suivra le même chemin.
Les jeunes participent au conseil d’administration et prennent en charge des dossiers. On apprend beaucoup dans une si petite équipe : faire les meilleurs cappuccinos, mais aussi créer une page Internet, tenir les comptes et rédiger un procès-verbal. « Nous sommes très fiers de nos jeunes membres : elles ont apporté beaucoup à la coopérative et restent près de nous, même si les études les appellent ailleurs. C’est triste de les voir partir, mais ça fait aussi partie de notre mission, de favoriser le développement de nos travailleurs », explique Josée Lortie.
Balzac disait que les comptoirs de cafés sont les parlements du peuple. Dans un quartier comme l’Île-de-Hull, un café devient vite un lieu d’échanges et de rencontres. Les clients savent qu’un café à La Tierra pourrait fort bien être l’occasion de parler avec le fermier de famille qui vient déposer ses paniers bio un jour de cueillette, de discuter avec des commerçants du quartier venus s’offrir quelque cent grammes du délicieux café ou même de partager le gâteau d’anniversaire d’un ami. L’équipe du café est toujours généreuse et accueillante, et partage gentiment son espace pour permettre aux artisans locaux d’exposer leurs œuvres. On a même déjà vu des conférences de presse tenues autour des trois tables du coin café!