Claudine Lalonde
En 1989, les employés de l’entreprise Les Ambulances du Québec apprennent que le propriétaire songe à vendre l’entreprise familiale. Les quarante-six travailleurs décident alors de se porter acquéreurs de l’entreprise, en créant une coopérative de travail : la Coopérative des paramédics de l’Outaouais est née. Membre du syndicat et membre fondateur de la coopérative, Marc Paquette raconte : « on voulait éviter d’être rachetés par une multinationale ou des entreprises privées et on voulait prendre en main notre destinée afin de s’offrir les meilleures conditions de travail possibles ».
Avec le temps, la Coopérative rachète les différentes entreprises de transport ambulancier de l’Outaouais pour intégrer les travailleurs dans la coopérative. En 2013, la Coopérative dessert tout le territoire de l’Outaouais, compte près de 275 membres (paramédics, répartiteurs médicaux d’urgence et employés de soutien) et dispose d’un parc de plus d’une trentaine de véhicules ambulanciers. Elle répond chaque année à près de 40 000 appels, effectue plus de 26 000 transports et son chiffre d’affaires s’élève à plus de 22 millions. Gérée démocratiquement par ses travailleurs, la coopérative présente la particularité d’être syndiquée. « Dans notre cas, le syndicat négocie avec le gouvernement pour les conditions salariales; dans l’entreprise, le syndicat joue un rôle de partenaire en défendant les intérêts des travailleurs, par exemple au niveau de la formation, de la qualité des équipements et de la santé et sécurité. Les griefs sont moins nombreux en milieux coopératifs parce que toutes les parties ont intérêt à travailler ensemble » poursuit M. Paquette.
Des travailleurs à la fois propriétaires de leur entreprise et syndiqués? Alors que certains y voient une contradiction, la pratique n’est pas inhabituelle. Au Québec, d’autres coopératives de paramédics sont syndiquées, alors que les syndicats ont contribué, techniquement ou financièrement, à la mise en place de la majorité des coopératives de paramédics au Québec. Fait à noter, les coopératives forestières sont aussi fortement syndiquées.
Du côté des syndicats, il y a toujours eu une ouverture pour la formule coopérative, même si certaines expériences ont laissé des souvenirs douloureux. Dans le nouveau contexte économique, où les entreprises ne sont pas en crise, mais se cherchent simplement une relève, la coopération redevient au goût du jour. La coopération est un outil de développement économique et permet d’entrevoir des alternatives à l’économie néolibérale. En 2012, à l’occasion de l’Année internationale des coopératives, se tenait un séminaire syndical sur la coopération du travail sous le thème « Les coops en milieu de travail : un choix de développement? », organisé par la CSD, la CSN et la FTQ, en collaboration avec le Chantier de l’économie sociale et le Réseau de la Coopération du travail.
Dans la foulée de cet exercice, les trois centrales syndicales lancent cet automne un outil élaboré conjointement qui vise à informer et faire progresser la réflexion syndicale sur la coopération du travail. Le document aborde franchement tous les aspects de la coopération du travail et souligne que « la formule coopérative permet, dans certaines circonstances, de créer ou de sauver des emplois ou encore d’assurer la relève d’entreprise ». En une douzaine de pages, le document présente les trois types de coopération du travail : la coopérative de travail, où les travailleurs sont propriétaires à 100 % de leur entreprise; la coopérative de travailleurs actionnaire (CTA) où les travailleurs détiennent une partie du capital-action de l’entreprise qui les emploie et finalement, la coopérative de solidarité, où les travailleurs partagent la propriété avec les usagers et la communauté. Il y est aussi question des principes qui sous-tendent le développement coopératif, du taux de survie supérieur des coopératives et des avantages de la présence syndicale en milieu coopératif.
Alors que la question de la relève d’entreprise préoccupe beaucoup les acteurs du développement économique, les centra- les syndicales proposent l’option de la coopération du travail dans le contexte du départ à la retraite du propriétaire, ou de la vente d’une entreprise. D’autres situations peuvent être l’occasion pour les travailleurs d’investir collectivement dans leur entreprise : injecter des nouveaux capitaux dans une entreprise en croissance, ou dans le cas plus délicat d’une éventuelle fermeture. Peu importe le cadre, certaines conditions s’imposent et l’adhésion des membres au projet est évidemment essentielle. Puis, les perspectives de viabilité doivent permettre à la coopérative de pouvoir assurer des conditions de travail intéressantes à ses membres. Finalement, les coopératives enracinées dans leur milieu, et entourées d’un solide réseau d’appui, offriront plus de stabilité à leurs membres.
La brochure se veut une piste de réflexion et ne positionne pas la coopération du travail comme la panacée, mais comme une avenue de développement « pour favoriser l’emploi, la démocratie au travail et même la réponse à des besoins locaux ».