Véronique Chagnon
C’était il y a un an, quelque part sur une route vers le Nord québécois. Éric Roberge et les deux seuls employés de Photonic Knowledge se rendaient sur un site minier pour mettre leur invention révolutionnaire au service d’un prospecteur. « J’étais au téléphone et je parlais du modèle de la coopérative de travailleurs actionnaire (CTA) que j’avais mis sur pied avec mon autre entreprise, Photon », raconte Éric Roberge, président de l’entre- prise. Dans la voiture, les employés n’en croyaient pas leurs oreilles. « On voulait pouvoir faire la même chose, nous aussi », s’exclame Ariel Harlat, aujourd’hui directeur de la recherche et du développement, l’un des deux premiers employés.
TROISIÈME PRINCIPE : PARTICIPATION ÉCONOMIQUE DES MEMBRES
Les membres contribuent de manière équitable au capital de leurs coopératives et en ont le contrôle. Une partie au moins de ce capital est habituellement la propriété commune de la coopérative. Les membres ne bénéficient habituellement que d’une rémunération limitée du capital souscrit comme condition de leur adhésion. Les membres affectent les excédents à tout ou partie des objectifs suivants : le développement de leur coopérative, éventuellement par la dotation de réserves dont une partie au moins est impartageable, des ristournes aux membres en proportion de leurs transactions avec la coopérative et le soutien d’autres activités approuvées par les membres.
Photonic Knowledge fête la première année de sa technologie d’analyse géologique qui change la façon de prospecter les sols à potentiel minier. Son outil, le « Core Mapper », est un engin portatif qui analyse à l’aide de l’imagerie hyperspectrale des carottes creusées dans le sol. Il détermine la quantité de minerai contenue sous terre en des points précis. Les analystes dressent ainsi rapidement le portrait géologique d’un terrain convoité par une compagnie minière.
Avec le boom minier mondial et les visées du gouvernement québécois sur les ressources du Grand Nord, les dirigeants prédisent à Photonic Knowledge une expansion fulgurante. Mais démarrer une entreprise de haute technologie coûte cher. « On a besoin de beaucoup de capitaux », confirme Éric Roberge.
Voilà pourquoi la coopérative de travailleurs actionnaire apparaissait comme la solution idéale. Ce modèle coopératif selon lequel les employés sont aussi en partie propriétaires de l’entreprise a séduit la petite équipe. Sur les 200 000 dollars de financement que Photonic Knowledge a contractés au démarrage, 75 000 dollars provenaient des investissements des employés dont une partie déterminée du salaire servait à investir dans la CTA. « Ils ont embarqué complètement, et parfois de façon agressive », se rappelle Éric Roberge. Avec le fort potentiel de développement de l’entreprise, les employés y voyaient une occasion en or, littéralement.
Pour conserver l’esprit coopératif et éviter que les hauts salariés n’accaparent toutes les parts de l’entreprise, Ariel Harlat a suggéré d’adopter un plafond pour les investissements. « Pour moi, la formule coopérative est un peu socialiste, dans le sens où elle vise l’égalité, et ça me semblait important que ça demeure ainsi. » Pour le moment, les salariés de Photonic Knowledge détiennent en tout environ 4 % de l’entreprise. « Quand les premiers fonds de démarrage se retireront dans quelques mois, la coopérative prendra encore plus de place », prévoit Éric Roberge.
En plus d’approvisionner Photonic Knowledge en capitaux, les investissements des employés leur rapportent aussi sur une base personnelle. Après un an, Ariel Harlat estime que ce qu’il a investi dans l’entreprise vaut 1 000 fois plus que sa mise de départ. Tout un taux d’intérêt à côté des maigres 4 % ou 5 % offerts par les institutions financières! Mais attention, rien ne garantit à ces investisseurs que l’entreprise fonctionne. « C’est plus risqué, oui, admet le directeur de la recherche et du développement, mais en même temps, comme employés et actionnaires, on a un grand contrôle sur le déroulement des choses et sur les orientations que l’entreprise prendra. » Ce supplément d’engagement sert bien le développement de l’entreprise. « Je sollicite beaucoup de la créativité et du cerveau de la part de mes employés. J’avais besoin qu’ils s’approprient le projet, qu’ils ne referment pas tout à fait la porte en sortant du bureau à cinq heures chaque jour », expose Éric Roberge, à la recherche de l’étincelle de génie qui ne se montre pas toujours durant les heures de bureau.
La formule CTA sert aussi à attirer et à conserver la main-d’œuvre de pointe. Ariel Harlat confirme que ça fonctionne. « Au départ, on se demande tout ce qu’on peut faire pour que l’entreprise décolle, et, si jamais on est tenté de partir, c’est un pensez-y-bien. »
Comme Photonic Knowledge en est à ses débuts, Éric Roberge est conscient qu’avec l’expansion, il devra s’assurer que la coopérative continue de tenir compte de l’avis de tous les employés. « Présentement, les employés journaliers s’impliquent moins, tant du côté financier que décisionnel. C’est en partie parce qu’ils travaillent dans des régions éloignées de l’équipe. On va devoir faire des efforts, admet-il. Mais, pour le moment, ils ont quand même le dernier mot pour ce qui est du matériel à utiliser. Ce sont eux qui choisissent les pick-up », lance-t-il en riant.