Isabelle Godbout
Depuis de nombreuses années, les Haïtiens vivent dans l’instabilité sociale et politique, sans compter la violence… La situation économique du pays est également très touchée. Dans le secteur du lait, toutes les usines de transformation ont été fermées au cours de la décennie s’étendant de 1995 à 2005, rendant ainsi très précaires les réseaux de fabrication et de distribution.
À cette époque, le réseau laitier souffrait de deux handicaps : la concurrence étrangère provenant principalement de l’Europe et du Canada et les difficultés de commercialisation. « Le lait local était très marginalisé parce qu’il n’était pas transformé, et une faible partie de la production était vendue uniquement par des marchands ambulants dans des conditions d’hygiène déplorables », explique Rosanie Moise Germain, directrice de VETERIMED.
VETERIMED, une organisation non gouvernementale d’aide au développement, s’est donné comme mission de contribuer à la défi nition et à l’application d’une politique nationale de développement de l’élevage en Haïti en vue de relever le niveau de vie des Haïtiens et des petits paysans. L’approche de l’organisation consiste à améliorer, par étapes, le système d’élevage traditionnel afin d’en assurer sa viabilité et sa durabilité.
En 2000, à la suite de nombreuses études et collectes d’information, VETERIMED, avec l’appui de partenaires, dont l’Intervention Géographique Spécialisée (IGS) Nord/Nord-Est et OXFAM-Québec, élabore la phase 1 du programme Lèt Agogo avec la réalisation de différentes études complémentaires qui ont notamment permis de cibler la contrainte majeure de la filière du lait, soit la mise en marché.
Par la suite, VETERIMED a mis sur pied un atelier démonstratif de transformation du lait. Une fois transformé en un produit de qualité, le lait local allait répondre aux exigences du consommateur. En partenariat avec des éleveurs, une production commerciale de yogourt a commencé. En 2002, de façon inattendue, l’expérience a été répétée dans d’autres régions du pays par des partenaires locaux de VETERIMED. Le réseau national Lèt Agogo a ainsi pris naissance.
Actuellement, « autour de chaque laiterie, nous comptons en moyenne 80 paysans éleveurs qui fournissent le lait et 8 personnes travaillant à plein temps », raconte madame Germain. « Lèt Agogo compte 22 laiteries comprenant 1 760 paysans éleveurs et 176 personnes locales formées et employées », ajoute-t-elle.
« Les entreprises de Lèt Agogo ne sont pas enregistrées en tant que coopératives. Elles sont plutôt des franchisées qui bénéficient d’appui technique de la part de VETERIMED, comme la supervision technique, la formation, le contrôle de qualité… », spécifie madame Germain. « Des associations de producteurs de lait partenaires de VETERIMED, ou propriétés d’une association socioprofessionnelle peuvent aussi s’associer à la marque Lèt Agogo. »
« Dans le cas des associations de producteurs, la laiterie est gérée par un conseil d’administration composé des représentants de ces organisations copropriétaires. Une partie des bénéfices produits vont aux producteurs sous forme de ristournes en fi n d’année et sous forme de soins pour les animaux. Notons aussi le pouvoir de contrôle qu’ils ont dans l’entreprise en tant que copropriétaires », spécifie-t-elle.
Aujourd’hui, Lèt Agogo voit grand. Bien que sa mission demeure la même, l’organisme s’est tout de même donné des objectifs ambitieux pour les années à venir dont :
- Agrandir les unités de transformation pour répondre aux offres de production de lait dans les zones à haut potentiel ;
- Augmenter le nombre de laiteries à 150 dans les 10 prochaines années;
- Améliorer la technologie utilisée pour augmenter la production dans le respect des normes agroalimentaires et en protégeant l’environnement ;
- Réduire de manière significative l’importation des produits laitiers.
« Non seulement Lèt Agogo a permis aux éleveurs de vendre leur lait et d’avoir accès à un revenu sur leurs activités de production, mais le lait local est aussi associé à une marque synonyme de qualité qui redonne au produit sa valeur et la confi ance des consommateurs », mentionne madame Germain. Elle tient toutefois à ajouter que Lèt Agogo doit encore relever de nombreux défi s pour les années à venir, dont « l’approvisionnement de certains intrants et les problèmes de chaîne de froid des supermarchés qui ralentissent la commercialisation des produits frais ».