Gaétan-Philippe Beaulière
Depuis plusieurs années, les coopératives de nouvelle génération (CNG) sont fermement enracinées dans le paysage agricole du Canada anglais et des États-Unis. Ce modèle permet aux producteurs membres d’accéder à une plus grande part des revenus à la consommation en réalisant, par l’entremise de la coopérative, la transformation de leur matière première.
Le trait distinctif des CNG est sans contredit les parts de livraison (delivery rights), dont l’achat par les membres scelle un contrat bien particulier avec la coopérative. En se procurant ces parts, souvent très onéreuses, chaque membre s’engage à fournir une quantité et une qualité déterminées de matière première à la CNG. En contrepartie, la coopérative aura l’obligation d’acheter le produit au prix convenu.
« Sur le plan de la capitalisation, la différence avec les coopératives traditionnelles réside dans le fait que les droits de livrer sont liés au niveau de capitalisation », explique Alain Roy, gestionnaire des programmes et partenariats pour le Secrétariat aux coopératives du Canada. Les coopératives agricoles traditionnelles, rappelle-t-il, établissent « les contributions nécessaires pour obtenir un plan financier qui permette un démarrage. Ensuite, on se fie aux activités de la coopérative pour produire à la fois des surplus et une partie de la capitalisation future, qui provient des ristournes réinvesties. »
Une capitalisation plus facile
La North American Bison Cooperative constitue un bon exemple de la formule. Elle produit de la viande de bison qu’elle vend sur le marché européen et à certains restaurants raffinés nord-américains. Lors du démarrage de la coopérative, la vente de 5 000 parts de livraison – accordant chacune le droit de livrer un bison par année – a permis de bâtir une usine pouvant transformer 5 000 bisons par année, soit la quantité que les quelque 250 membres canadiens et américains se sont engagés à fournir.
Les entreprises de transformation agro- alimentaire sont « extrêmement sensibles au taux d’utilisation », explique Maurice Doyon, professeur d’économie agroalimentaire à l’Université Laval. Monsieur Doyon estime que la capacité qu’ont les CNG de prévoir avec une relative précision leur production est un élément très avantageux pour la réalisation d’un plan d’aff aires. Les banques, par exemple, consentent des prêts plus aisément. « Avec un plan d’aff aires qui rassure les créanciers – parce qu’il y a obligation de livraison de la part des producteurs –, la coopérative obtient un pourcentage de capitalisation intéressant. L’accès aux capitaux s’en trouve donc facilité. Il s’agit de l’un des gros avantages de la coopérative de nouvelle génération », analyse-t-il.
Un écueil récurrent : le transfert intergénérationnel
Paradoxe étonnant, les coopératives de nouvelle génération ont souvent peine à vivre le passage intergénérationnel. C’est du moins la conclusion à laquelle aboutissent les recherches récentes effectuées par Maurice Doyon sur différentes « structures coopératives alternatives », dont les CNG.
« Les parts associées à une participation dans une entreprise de transformation qui serait une CNG prennent de la valeur. Mais en créant une marque de commerce, par exemple, la valeur réelle des parts sera difficilement calculée », explique-t-il. Dans un tel contexte, la tentation de convertir la coopérative en entreprise incorporée publique peut être grande pour les producteurs en fi n de carrière. Cela, bien sûr, intéresse beaucoup moins les plus jeunes, qui ont plusieurs années de production devant eux. En somme, les producteurs en début de carrière et ceux aux abords de la retraite « peuvent avoir des intérêts divergents à certaines occasions », résume le spécialiste de l’économie agroalimentaire.
Un modèle intéressant pour le Québec ?
Ces quelques difficultés inhérentes au modèle n’enlèvent rien, ou très peu, à sa popularité dans l’Ouest canadien et aux États-Unis. Au Québec, par contre, l’engouement n’est pas au rendez-vous.
« On fait beaucoup de gestion de l’offre au Québec », rappelle le professeur de l’Université Laval. Or, les CNG ont été développées pour pallier les contraintes des marchés spécialisés ou déréglementés, entre autres. « Il n’est pas nécessaire de créer une CNG dans un contexte de gestion de l’offre, surtout si on a un bon modèle d’aff aires. Les producteurs québécois sont déjà à l’abri des pires fluctuations du marché en raison des nombreuses politiques agricoles en place au Québec. La stabilité du prix est assurée, la marge de profit est garantie et ainsi de suite. Ces éléments rendent le modèle des CNG moins intéressant », affirme monsieur Doyon.
Alain Roy souligne quant à lui que ce modèle s’accompagne « des pressions, des contraintes » qui peuvent dissuader les agriculteurs de l’adopter pour les productions non réglementées. « Par exemple, l’engagement de livrer une certaine qualité et quantité oblige le membre de cette coopérative de nouvelle génération à aller acheter sur le marché ce qu’il n’a pas été capable de produire chez lui », dit-il. Le contrat sera ainsi honoré, mais pour le membre, « les revenus pour les opérations d’affaires ne seront pas aussi importants ». Cela explique pourquoi le jeu ne semble pas en valoir la chandelle pour les agriculteurs québécois. Du moins, pas pour l’instant!