Orchestre philharmonique de Londres
Alexandre Couture
L’Orchestre philharmonique de Londres (OPL) n’a plus besoin de présentation. Fondé en 1932, il fait partie des quatre grandes formations symphoniques que le monde entier envie à Londres, la métropole la plus compétitive du monde sur le plan musical. Très peu de gens le savent, mais l’orchestre anglais est une coopérative. Les musiciens, qui sont aussi les membres, possèdent un pouvoir décisionnel indéniable.
Plongez dans l’univers du classique coopératif
Contrairement à plusieurs orchestres du vieux continent, la structure coopérative n’est pas née d’une rébellion des musiciens envers leur chef. Au contraire, on doit justement ce modèle au premier maestro de la formation, Sir Thomas Beecham, qui a voulu répartir le partage du pouvoir entre les membres et de ce fait, assurer la pérennité du Philharmonique à long terme.
Près de 75 ans plus tard, l’OPL a connu une évolution impressionnante et il est reconnu comme l’un des orchestres les plus avant-gardistes de son époque. « En 1956, il a été le premier orchestre britannique à se produire en Russie et, en 1973, il a fait en Chine la première visite jamais effectuée par un orchestre occidental », rappelle fièrement la responsable du marketing, Mme Tash Berg. Cette coopérative a joué devant des publics enthousiastes un peu partout à travers le monde trouvant sa force dans son unité sans pareil.
Tout comme les avocats, notaires ou travailleurs de la construction qui s’unissent pour combiner leur talent et expertise, les musiciens du Philharmonique de Londres sont persuadés que l’union fait la force. Bien que le modèle organisationnel et financier se soit transformé avec les années, la structure coopérative est toujours bien présente. « Nous sommes une société à responsabilité limitée détenue, c’est-à-dire que nos musiciens sont les actionnaires », explique Mme Berg.
Une destinée liée à la guerre
Pour bien comprendre le caractère unique du Philharmonique de Londres, il faut remonter à sa genèse. Fondé par Sir Thomas Beecham en 1932, l’orchestre a été dirigé d’une main de fer par celui-ci jusqu’en 1939, moment où il dut se retirer en raison de problèmes de santé. Avant de quitter, il s’assura néanmoins de trouver le financement nécessaire pour transformer l’institution en une coopérative autosuffisante. « Avec l’arrivée de la guerre et toute l’incertitude qu’amenait celle-ci, Sir Beecham a probablement sauvé l’orchestre en léguant le pouvoir à ses musiciens », ajoute-t-elle.
Malgré les bombardements allemands incessants, l’orchestre continua de se produire en Grande-Bretagne entre 1939 et 1945. Avec sa structure simpliste, mais non moins efficace, le Philharmonique parcourut les salles de concert du pays, faisant fi du climat de terreur qu’imposait le régime nazi en Europe. « Les musiciens n’ont jamais pensé arrêter en cours de route, car ils savaient qu’ils avaient le contrôle sur tout », poursuit Mme Berg. En effet, la structure coopérative donnait à chaque membre le même pouvoir décisionnel lors des votes (1 membre = 1 vote), un contraste frappant avec d’autres organisations musicales qui étaient dirigées par une certaine élite de la société.
« À la fin de la guerre, Sir Beecham est revenu aux commandes de l’OPL, mais les choses avaient changé depuis son départ », remarque-t-elle. Effectivement, le fondateur croyait bien pouvoir reprendre le contrôle total de l’orchestre, mais les musiciens l’ont averti rapidement que s’il revenait, c’était seulement à titre de membre salarié. Comme quoi, il était hors de question de retomber dans une structure verticale après avoir gouté aux avantages coopératifs. Sir Beecham, dans l’impossibilité de répondre à cette exigence, quitta définitivement en 1946.
Une page se tournait pour l’orchestre, mais l’avenir n’avait jamais été aussi rose.
La musique avant tout
Tout comme son prestigieux cousin de Berlin, le Philharmonique de Londres s’est adapté à son époque. Même si la structure a changé depuis ses débuts, les membres de l’OPL tiennent mordicus à leur pouvoir de décision. Si la plupart des questions sont traitées au conseil d’administration, les questions les plus sensibles sont envoyées à l’orchestre pour être votées. Ainsi, on s’assure que le processus décisionnel soit démocratique et représentatif, à l’image de l’OPL.
Bien sûr, on peut voir certains côtés négatifs à l’autogestion pratiquée par le Philharmonique de Londres. Par exemple, lorsque le Arts Council England a délaissé les orchestres britanniques il y a 15 ans, il a notamment blâmé le manque d’expertise dans les conseils d’administration pour expliquer la baisse des revenus. Selon eux, bien que les musiciens protègent les intérêts de leurs pairs, ils ne sont pas toujours les plus qualifiés pour administrer une organisation de cette taille.
La question se pose donc: qui est le mieux placé pour voir aux destinées d’un orchestre, un fonctionnaire ou quelqu’un qui a dédié sa vie à la musique? Peu importe, malgré les embûches administratives, le Philharmonique de Londres continue de rayonner sur la scène internationale et par le fait même, fait rayonner le modèle coopératif partout dans le monde.