Vers le 3 novembre
François Léveillé
Dans la foulée des élections municipales qui se tiendront partout au Québec à l’automne 2013, l’équipe du Coopoint trouvait intéressant de jeter un regard sur le rôle que peuvent jouer les coopératives dans le développement des villes et villages du Québec. Alors que les succès de coopératives dans tous les secteurs font rayonner la formule, de plus en plus de gens choisissent d’entreprendre différemment, autant en milieu urbain que rural. Jean-Paul L’Allier, ancien maire de Québec et observateur attentif de la scène municipale, a accepté de répondre à nos questions pour inspirer les élus qui entreront en fonction pour les prochains quatre ans. Vous trouverez ici un compte-rendu de notre entretien dans les grandes lignes.
François Léveillé: En guise d’introduction, voudriez-vous nous parler de votre perception du mouvement coopératif au Québec?
Jean-Paul L’Allier: Les coopératives ont joué un rôle déterminant dans toutes les étapes du développement du Québec depuis plus de cent ans. Je pense à Desjardins, mais je pense aussi à d’autres coops en matière d’assurance, d’habitation. Pour moi la coopérative est un outil de solidarité et c’est bien important qu’on le perçoive comme ça. C’est un outil de partage de ressources et d’expérience. C’est la base de la confiance que des gens se font, au moment de faire des choses ensemble : en imaginant qu’on le fait toujours dans l’intérêt premier de l’ensemble, et non pas dans l’intérêt particulier de chacun, sur le dos du voisin. Les coopératives permettent de partager une certaine vision du développement économique, social et communautaire, et même si ce n’est pas rapide comme d’autres institutions, c’est beaucoup plus solide. La place des coops au Québec, c’est quelque chose d’irremplaçable.
F. L. : Comment le modèle coopératif peut-il être une réponse aux défis que nous vivons dans les municipalités? Et de quelle façon les villes ou les élus peuvent-ils soutenir la mise en place de projets coop sur leur territoire?
J.-P. L. : Une municipalité est une administration publique, et est donc régie par certaines règles et ne peut pas tout faire. Si vous me parlez du territoire d’une municipalité, et non de l’administration, c’est autre chose. Au moment où j’étais là , nous avons toujours favorisé, par exemple, les coopératives d’habitation sur le territoire de la ville de Québec. J’ai favorisé l’implantation de la caisse populaire des fonctionnaires dans les bureaux de l’hôtel de ville, des choses comme cela. C’est utile pour la communauté locale… Par contre, la ville ne joue pas un rôle d’instigateur dans des projets du genre, mais doit plutôt servir d’inspiration, de guide.
Sur les attitudes et façons de faire à adopter, je pense qu’on doit d’abord les écouter. Puis s’assurer qu’il n’y ait pas de blocage idéologique chez les fonctionnaires, parce qu’il y en a qui ne veulent rien savoir de la formule… et ensuite s’assurer que les projets qu’on peut encourager ou supporter sont des projets qui sont porteurs pour l’ensemble de la communauté.
F. L. : Est-ce qu’il y a des services ou des domaines d’activités plus précis où la ville gagnerait à donner plus de place à la coopération?
J.-P. L. : Encore une fois, ce n’est pas aux villes à donner plus de place, c’est aux gens à la prendre! Une coopérative ne fonctionne pas à partir d’une autorité, mais plutôt à partir d’une volonté des citoyens de faire des choses ensemble. Quand on a mis sur pied à Québec des conseils de quartier, pour que les gens s’approprient autant que possible une partie du développement de leur territoire, même si les projets n’étaient pas formellement coop, on s’inspirait beaucoup de cette façon de penser et de voir les choses, de ces valeurs. Moi c’est ça qui m’intéresse! On développe une solidarité dans un milieu quand on est capables de partager l’eort, les risques et les bénéfices. Quand on applique strictement le système de type capitaliste, habituellement l’effort est à un endroit et le bénéfice est ailleurs.
F. L. : En milieu rural, nous voyons plusieurs projets de services de proximité qui voient le jour sous forme de coopérative, je pense par exemple à la Coop de Boileau qui a ouvert ses portes dans les derniers mois. Ce sont des projets qui jouent souvent un rôle clé dans le dynamisme et la relance d’un village. Est-ce que le rôle d’une coop en milieu urbain est différent?
J.-P. L. : Pas nécessairement différent, sauf qu’il y a toute la notion de proximité qui n’existe pas en milieu rural, qui sont des milieux un peu plus isolés. Alors qu’en milieu urbain, même si les gens vivent d’une façon souvent individualiste, c’est plus facile de développer des choses à l’intérieur d’un certain quadrilatère. En milieu rural, c’est là que le principe initial des coops doit être décapé et mis à niveau : la coop n’est pas uniquement un outil pour les gens qui sont mal pris, mais bien un outil de développement à part entière. Je pense par exemple à l’organisme Solidarité Rurale avec qui je travaille régulièrement, qui ont développé cette conscience là qui est basée sur une pédagogie permanente d’éducation à l’action coopérative.
F. L. : Est-ce que vous avez des exemples précis de projets que vous avez piloté durant votre carrière, on pense bien sûr par exemple à la revitalisation du fameux quartier St-Roch, où des coopératives auraient joué des rôles particuliers?
J.-P. L. : Absolument! Beaucoup de projets dans le domaine des garderies, dans le domaine culturel aussi. La coopérative Méduse par exemple, qui représente essentiellement par définition l’esprit même d’une coopérative, à Québec, dans la côte d’Abraham. Je pense aussi aux ateliers d’artistes que nous avons favorisé à Québec pour que la création soit au cÅ“ur du développement du centre-ville… C’est ici où je pense que le rôle de conseil que peuvent jouer les pouvoirs municipaux est important, notamment via les organismes de développement économiques comme les CLD et autres. On doit être là pour accompagner et conseiller les promoteurs, dans l’objectif de les aider à trouver la formule qui leur convient : il se peut que la solution soit de créer une coop, cela doit donc faire partie des options.
F. L. : Finalement, au-delà de l’aspect économique, comment la coopérative peut-elle contribuer à mettre en place un tissu social plus stimulant pour la communauté?
J.-P. L. : D’abord, les coopératives dans une même région doivent continuer à se parler, même si elles ne sont pas dans des domaines connexes, et mettre en commun un service pédagogique pour régulièrement venir décaper les notions fondamentales de la coopération. Sinon on oublie rapidement ce que c’est, et on en arrive à traiter sa caisse populaire comme une banque. Les économies fragiles comme les nôtres, de plus en plus menacées par les multinationales, ont besoin des coops, qui sont les entreprises qui vont résister le mieux en matière de création d’emploi et de richesse face à ce qui s’en vient. Ça ne veut pas dire qu’il faut se battre contre toutes les grosses entreprises, mais surtout qu’il faut prendre action, localement, pour continuer à prouver la valeur de la coopération.