Accorderie de Sherbrooke
Alexandre Couture
Dire que nous vivons dans une société de consommation est un euphémisme, nous sommes dans un système où l’argent est au centre de tout. Comment s’en échapper? Le concept des Accorderies fait peut-être partie de la réponse. Apparue en 2002, cette initiative québécoise offre une alternative viable à l’exclusion sociale.
Rencontre avec l’Accorderie de Sherbrooke où l’humain passe avant la recherche du profit
C’était en 2002, la Fondation Saint-Roch de Québec et la Caisse d’économie solidaire de Québec unissaient leurs forces et leurs ressources à celles d’individus préoccupés par la pauvreté et l’exclusion sociale. Le résultat qui en a découlé est un système tout aussi simple qu’ingénieux, où les membres s’échangent des services selon leurs besoins.
«L’Accorderie fait appel aux talents, aux habiletés et aux connaissances des personnes, explique la coordonnatrice de Sherbrooke, Marion Pradères. La valeur d’échange est le temps.» Les heures des membres, appelés AccordeurEs, ont toutes la même valeur, peu importe la nature des échanges (1h=1h). Les services touchent autant la cuisine, les langues, le ménage et le soutien informatique, que la musique et le sport.
Depuis les débuts de l’Accorderie au Québec, c’est 45 000 échanges qui ont eu lieu, pour un total de 100 000 heures de services échangés. On compte maintenant plus de 3 500 membres qui offrent près de 1000 services différents. En 2006, le succès rapide a permis aux instigateurs du projet de créer le Réseau Accorderie et de mettre sur pied 13 franchises réparties dans dix régions du Québec.
Le choix du modèle coopératif
Pour l’Accorderie de Sherbrooke qui compte près de 400 membres, le choix d’une structure coopérative était un choix logique. «La structure horizontale d’une coopérative nous permet de mettre l’implication des membres au cœur de notre organisation», précise Mme Pradères. Les personnes qui souhaitent devenir AccordeurEs paient une part sociale de 10 $.
Un site web regroupe tous les membres ainsi que les services
qu’ils offrent. « Les AccordeurEs peuvent donc se contacter entre eux sans l’intermédiaire de notre bureau, un détail important qui favorise l’autogestion », poursuit-elle.
Ainsi, chaque jour, environ cinq échanges sont réalisés entre des personnes qui ne se connaissent pas, que ce soit pour peindre un mur ou réparer une bicyclette. Une fois le service échangé, ils avisent l’Accorderie pour payer en heures le membre qui a rendu le service.
Réseau qui se concentre sur l’individu
Les gens intéressés à ce type d’échange partagent sensiblement les mêmes motivations. «En plus d’économiser de l’argent, les membres croient que la formule de l’Accorderie permet de changer la société», raconte Mme Pradères. Un système d’entraide et de solidarité qui fait contraste avec la société de consommation occidentale.
Un autre cheval de bataille de l’Accorderie est la lutte contre l’exclusion sociale. «Selon une étude que nous avons réalisée, 70% de nos membres sont des femmes et 50% ont un revenu sous les 20000$; c’est justement ces personnes qui sont souvent victimes d’exclusion», argue-t-elle.
Les trois types d’échanges de services 3. Échanges associatifs: l’Accorderie rémunère les AccordeurEs en temps pour leur participation au fonctionnement de l’Accorderie: accueil des nouveaux membres, participation à divers comités: financement, groupe d’achat, crédit solidaire, vie associative. |
Les heures des membres ont toutes la même valeur, peu importe la nature des échanges (1h=1h)
L’Accorderie stimule le développement du pouvoir des membres puisqu’elle leur permet d’améliorer eux-mêmes leurs conditions de vie et de sortir de leur isolement. «Elle contribue aussi à l’amélioration de l’estime de soi grâce à la valorisation des talents et des habiletés de chacun», conclut la coordonnatrice, visiblement fière.
Malheureusement, en ces temps d’austérité, les Accorderies peinent à survivre financièrement. Bien que le concept charme bien des gens, les Français l’ont même adopté en 2013, il tarde à être reconnu par le gouvernement et manque de financement. Malgré tout, les AccordeurEs d’un peu partout au Québec continueront à tenter de faire changer les choses, un échange à la fois.