Sophie Chartier
La coopérative de travail Cecosesola, née dans la ville de Barquisimeto, au Venezuela, est passée d’une simple entreprise funéraire à l’un des réseaux collaboratifs les plus étendus de son pays. Portrait d’une grande famille qui évolue grâce à une philosophie d’éducation constante.
« Il est facile de s’enrichir par des moyens… égoïstes, au Venezuela », lance, d’un ton un peu accusateur, Gustavo Salas, membre de longue date du réseau de coopératives Cecosesola. C’est que l’organisation dans laquelle il œuvre tente depuis sa création de se distancier de cette tendance à l’individualisme. Et elle réussit plutôt bien. Fondée en 1967, Cecosesola est un peu comme une coopérative de coopératives. Son vaste réseau offre divers services à prix modique destinés aux membres et non-membres. Celui-ci compte un marché, une structure de production agricole, une maison funéraire, un système de distribution d’appareils ménagers, un réseau de santé et bien d’autres encore. Sa structure autofinancée permet de distribuer les divers articles à des prix concurrentiels, soit entre 30 et 60% moins cher que dans le marché privé.
Aujourd’hui, Cecosesola est présente dans cinq états du Venezuela et emploie 600 membres travailleurs qui gagnent tous le même salaire. Au total, l’activité économique de l’organisation touche 1300 personnes. L’idée est de permettre, par le travail et la mise en commun, un accès aux nécessités de la vie au plus grand nombre et à une fraction du prix.
Complètement horizontal et autogéré, l’ensemble est un exemple d’égalitarisme. « Il n’existe aucune hiérarchie au sein de Cecosesola, confirme M. Salas. Tous les membres sont égaux dans l’organisation. Nous n’avons ni président, ni coordonnateur, ni responsable d’aucune sorte. »
L’idée est de permettre, par le travail et la mise en commun, un accès aux nécessités de la vie au plus grand nombre et à une fraction du prix
Cecosesola est basé sur la communication et l’échange verbal. « Une partie de nos membres a fait des études universitaires, mais la majorité d’entre eux n’ont jamais lu un livre de leur vie, explique Gustavo Salas. De plus, avec toutes les décisions qui sont prises, on ne pourrait jamais conserver des traces écrites de toutes nos réunions! »
Des relations de confiance
La répartition des tâches est basée sur la prise de responsabilités des individus, au profit du bon fonctionnement collectif. Les membres des différentes unités de Cecosesola sont encouragés à prendre les décisions qu’ils jugent bénéfiques, sans avoir à passer par le groupe.
Au marché, lorsque les queues s’allongent aux caisses, les commis qui chargent les marchandises vont d’eux-mêmes prêter main-forte à leurs camarades. Chacun fait dans son travail ce qu’il considère être le mieux pour le bon déroulement des activités. Si le membre sent qu’il n’est pas à sa place, il est libre de partir.
« Avec tous nos membres, il serait fou de devoir demander une permission chaque fois que l’on a une idée en tête, explique Gustavo Salas. Chaque personne dans l’organisation est libre de ses mouvements et de ses décisions. Les gens savent ce qu’ils ont à faire. Si une erreur est commise, un groupe analysera par la suite les dommages et les réparations nécessaires. On apprend ainsi collectivement. » M. Salas donne un exemple qu’il a vu se produire la semaine auparavant. Deux caissiers du marché de fruits et légumes volaient de l’argent dans les caisses. Lorsque les autres membres de la communauté ont réalisé les méfaits, un groupe de cent vingt personnes s’est formé pour mener l’enquête. L’un des deux coupables a repayé de sa poche la somme manquante, alors que l’autre a disparu dans la nature. « Dans des cas comme celui-là, c’est l’ensemble des membres qui assume les coûts, complète M. Salas. La vie en communauté a parfois de mauvais côtés et cela fait partie de ceux-ci, mais ça fait aussi partie de l’apprentissage. »
« Chaque personne dans l’organisation est libre de ses mouvements et de ses décisions. Les gens savent ce qu’ils ont à faire. »
Tous aux réunions
À la base de ce fonctionnement, qui peut sembler utopique pour certains, se trouve un élément fondamental: la consultation. Les travailleurs de Cecosesola sont conviés à des dizaines de réunions par semaine, auxquelles ils ont le choix de se présenter ou non. « Elles sont nécessaires pour être tenus au courant des décisions et des évolutions, ajoute Gustavo. Nombreux sont ceux qui assistent à deux, trois, quatre ou même cinq rencontres par semaine. Les réunions sont ouvertes à tous et les décisions y sont consensuelles. »
Avec près de 3000 réunions par an, qui traitent de tous les aspects de l’activité de la coopérative, il est impossible pour un seul membre d’assister à chacune d’entre elles. Il s’agit d’un point positif, selon Gustavo Salas. « Il faut faire confiance aux autres pour obtenir l’information sur les sujets discutés aux réunions où l’on n’a pu se présenter, explique le membre. Ce système permet à plus de gens de s’exprimer et empêche quiconque souhaiterait imposer son contrôle de le faire.»
Les rencontres accueillent parfois des centaines de personnes. C’est le cas notamment des réunions de gestion, qui sont au nombre de trois par semaine. Chaque travailleur doit prendre part à l’une d’elles pour rester dans la coopérative. Ce fonctionnement assure la réflexion collective sur les directions que doit prendre Cecosesola.
La force dans le chaos
Comment parvenir à conserver l’ordre au sein d’une structure si grande et si disparate? « Il n’y en a pas vraiment, justement, rigole Gustavo. C’est une structure chaotique et imparfaite, qui a émergé de façon plus ou moins naturelle. L’ordre se crée tout seul. »
Dans un pays où la culture de la solidarité est forte, Cecosesola a pu se développer au fil des ans en fonction des besoins et des envies de ses membres, sans plan réel et sans ambition de croissance. Il en va de même pour le futur. Gustavo indique ne pas pouvoir prédire de quoi sera fait l’avenir du réseau collaboratif. Aussi longtemps que les gens de Barquisimeto et du Venezuela auront envie d’intégrer le processus d’échange et d’enseignement alternatif proposé par Cecosesola, celle-ci continuera son évolution naturelle, dit le vétéran de la coopération.
« Nous n’avons pas l’ambition de grossir économiquement, conclut Gustavo. Toutes les facettes de Cecosesola visent à contribuer à une éducation collective. C’est l’idéal central qui tient tout cela ensemble ».